Cédric Sacras : « Je suis à fond dans le projet »

Après avoir remporté le titre de champion l’an passé avec le Fola, Cédric Sacras a rejoint le Swift Hesperange dans un désir de continuer d’accumuler les trophées. Une décision assumée, mais pour le moment pas encore nécessairement gagnante, au vu des difficultés du club d’Hesperange. Le latéral revient sur sa décision, sa saison actuelle, les difficultés du club, et aussi la sélection avec une rare franchise. Entretien-vérité.

Pourquoi avoir pris la décision de quitter le Fola?

J’avais besoin d’un autre challenge. À mon goût, j’étais un peu trop dans une zone de confort. De plus, le club a mis en place un nouveau projet qui consiste à intégrer énormément de jeunes dans l’équipe première. Je respecte beaucoup cela, mais à mes yeux, ça va limiter les ambitions sportives. Ce sera compliqué d’aller chercher le titre régulièrement, et je voulais m’inscrire dans un club qui pouvait prétendre à la victoire chaque année.

As-tu très vite décidé de rejoindre le Swift?

Non, j’ai été en contact avec beaucoup de clubs. À la fin, il restait le Racing et Hesperange. J’ai grandi au Swift, et cela m’a paru logique d’aller là-bas.

Tu rejoins donc Hesperange, 3du championnat, qui est sur une excellente série, mais quand tu arrives, la quasi-intégralité de l’équipe a changé. T’attendais-tu à ça avant d’arriver?

Non, pas du tout. C’était très bizarre. Le premier jour, tu arrives, il y a une présentation des nouveaux joueurs et tu te rends compte que ça fait toute une équipe (rires) ! On était seize ou dix-sept dans mes souvenirs… Donc forcément, j’étais surpris.

Inquiet?

Inquiet, non… Je connaissais beaucoup des joueurs, et je savais qu’ils étaient de qualité, en particulier ceux qui étaient restés. C’est d’ailleurs souvent les mêmes qui jouent. Mais c’est sûr qu’au début, j’ai trouvé que l’on était trop, aux entraînements c’était compliqué, pour les coachs aussi… Aujourd’hui encore, c’est difficile pour le nouvel entraîneur : il a fait deux groupes, avec un qui s’entraîne plus tard. Cela permet d’avoir un ensemble plus restreint, et sincèrement, cela facilite les choses pour créer une cohésion d’équipe.

Comment se passe la vie de groupe, précisément, avec au quotidien une trentaine de joueurs dont une dizaine qui ne jouera sûrement jamais?

C’était vraiment compliqué au début. Là, tout doucement, je sens qu’on commence à créer quelque chose, nous faisons parfois des activités ensemble en dehors du foot, cela soude l’équipe. Sur le terrain, dorénavant, je trouve qu’on se bat plus les uns pour les autres. Lors de mes premiers matchs, je ne voyais pas cette cohésion d’équipe, ce qui nous a bêtement coûté des points. Niveau mentalité, on n’était pas prêts, cependant, cela se met en place. Il y a eu deux nouvelles recrues, mais celles-ci sont cohérentes. Cela va nous permettre de renforcer certains domaines, ce qui est excellent. Et leur mentalité est impeccable.

D’un point de vue extérieur, on a l’impression que le Swift veut taper trop fort, grandir trop vite, ce qui peut paradoxalement être contre-productif. Partages-tu ce point de vue?

Oui, je suis plutôt de cet avis. Quand tu arrives le premier jour et qu’il y a dix-sept nouveaux joueurs, bon… Cela ne fait pas penser à un recrutement particulièrement ciblé. Pour Becca, c’est le résultat qui compte ; il veut gagner, quelle que soit la manière. Renforcer chaque ligne avec un ou deux joueurs me semblait cohérent. Mais ici, il y avait beaucoup de paris tentés, avec de jeunes joueurs pas encore confirmés. Ils ont peut-être voulu faire trop vite, mais depuis janvier, ça commence à mieux se structurer, avec des idées claires.

Tu as pu parler aux dirigeants quand tu es arrivé, pour comprendre le projet?

J’ai fait quatre ou cinq rendez-vous avec Sofian (NDLR Sofian Benzouien, directeur sportif du Swift) avant de rejoindre Hesperange. On a discuté du projet, du futur, et on sait tous que Becca veut tout gagner, tout le temps. C’est ce qui a peut-être posé problème à court terme, ce sentiment d’urgence qui dominait face à la construction… On m’avait présenté un renforcement global, mais pas une telle arrivée de joueurs. Et sur les dix-sept, hormis moi, Dupire, Couturier et Sené qui joue de temps en temps, les autres n’ont pratiquement pas de temps de jeu.

Les premiers mois se font sous Vincent Hognon, qui ne réussit pas le meilleur des départs. Qu’est-ce qui ne fonctionnait pas avec lui selon toi ?

Sincèrement, je ne pense pas que c’était la faute du coach. Il n’était pas dans les meilleures conditions pour travailler avec trente joueurs. Quand il voulait faire de l’entraînement tactique, il faisait un onze contre onze, et il restait encore onze joueurs de côté. Cela n’était pas optimal. Mais je pense qu’il s’est un peu trompé sur le championnat. Il est sûrement arrivé avec l’idée que cela allait être facile. On lui a peut-être donné l’idée qu’au Luxembourg, il y avait 2 ou 3 clubs au-dessus du lot, alors que les dernières années montrent bien à quel point le niveau s’est resserré. En plus, on a commencé par une victoire 3-0 au Racing, contre un concurrent direct, ce qui a dû le conforter dans son idée. Ensuite, on prend 0-2 contre Pétange à domicile, on souffre à Mondorf… Il a sûrement été surpris. Après, est-ce qu’on lui a laissé assez de temps ? Je ne sais pas.

Est-ce que son départ t’a surpris, avec seulement une défaite et deux nuls?

Je pense que la direction a eu peur de faire la même saison que l’an dernier avec Strasser, où un début raté leur a sûrement coûté le titre de champion. Aussi, Parisi était déjà là chez les jeunes, ce qui a pu accélérer les choses. Mais je voyais qu’il ne se sentait pas à l’aise dans le club, qu’on ne le laissait pas travailler comme il voulait. Il s’imaginait sûrement rejoindre un club professionnel et a pu être surpris. Quand certains joueurs arrivaient à l’entraînement à 18 h 15 avec un quart d’heure de retard, car ils sortaient du travail, cela l’énervait. Je pense qu’il n’a pas su s’adapter à l’environnement du Luxembourg. C’est un autre monde ici.

C’est ensuite Parisi qui a pris la tête du groupe. Qu’est-ce que l’entraîneur apporte de plus?

Déjà, il a remis tous les compteurs à zéro. Tout le monde est donc reparti au travail. Il est aussi très tactique, c’est sûrement le côté italien (rires) ! De la vidéo, on en a eu énormément au départ, y compris individuelle. On a mis un peu de temps à mettre en place certaines choses, sûrement à cause de la barrière de la langue qui est contraignante. Je comprends le portugais, donc j’arrive parfois à saisir l’idée, mais il manque certaines spécificités. Maintenant, il est en train d’apprendre le français, ce qui est révélateur d’un bon caractère. Il a envie de nous faire progresser, ça se passe très bien avec lui, et la création des deux groupes à l’entraînement a permis de renforcer l’esprit d’équipe.

On a l’impression que l’équipe a du mal à faire preuve de constance durant quatre-vingt-dix minutes. On peut voir quelques bonnes phases, puis plus de difficultés. Arrives-tu à expliquer pourquoi? Le manque de confiance, d’automatismes?

Personne ne peut réussir à être tout le temps au taquet. Mais vous avez dit un mot : automatismes. Et je pense réellement que c’est quelque chose qui a beaucoup manqué lors de la phase aller. Avec beaucoup de nouveaux joueurs, il faut le temps d’apprendre à se connaître.

Sur le plan défensif, il n’y a pas grand-chose à critiquer. Vous avez la meilleure défense du pays, et cela a pu garantir certaines victoires. Que manque-t-il pour vraiment débloquer le tout offensivement?

Cela part de derrière. On défend tous ensemble, on attaque tous ensemble. À nous de bouger plus, de proposer des solutions, de communiquer et de continuer à peaufiner nos automatismes. Face à Mondorf, on a su se procurer beaucoup plus d’occasions qu’en temps normal, c’est prometteur. Nous sommes sur une vague d’amélioration.

On parle encore de lutte pour le titre du côté du Swift. Penses-tu que c’est un objectif atteignable?

Oui, vraiment. Il va y avoir beaucoup de confrontations directes, qui feront sûrement la différence. Et on ne peut plus se permettre de perdre des points contre les soi-disant plus petites équipes.

En mars, vous allez affronter successivement Rosport, le Fola, Strassen et le Progrès : peut-on dire que ce mois sera décisif pour vous situer?

Oui. Ces quatre matchs-là vont nous faire comprendre ce pour quoi on joue. Est-ce que c’est l’Europe et le titre ? Juste l’Europe ? Le ventre mou ? Cela permettra d’en savoir plus, et ça peut aller vite dans les deux sens. Je pense sincèrement que nous avons, pour ce qui est des individualités, le meilleur effectif de BGL Ligue. À l’entraînement, je vois des joueurs de qualité, d’expérience… Quant à l’aller on perd contre Pétange, individuellement, je suis certain qu’à chaque poste nous avons le meilleur joueur. Mais eux ont joué en équipe, et ils nous ont bouffés.

Comment juges-tu ta saison sur le plan personnel?

J’ai fait un bon début de saison après être arrivé avec une blessure. Ensuite, malheureusement, j’en ai eu une autre grosse, qui m’a gardé éloigné des terrains plusieurs mois. C’est quelque chose de difficile à gérer, surtout au début, quand on t’annonce la durée. Ensuite, tu retrouves la motivation, la niaque, pour revenir le plus tôt possible et dans les meilleures conditions. Je joue toujours avec encore un peu de douleur, mais j’essaie de faire fi de ça. Avec l’adrénaline, ça s’oublie. Il faut maintenant reprendre le rythme, car je n’ai pas encore la même vivacité qu’en temps normal.

La sélection demeure-t-elle dans un coin de ta tête?

Cela reste toujours dans un coin de ma tête. La seule chose à faire, c’est performer sur le terrain, en particulier en Coupe d’Europe. Mais c’est certain qu’aujourd’hui, jouer dans le championnat luxembourgeois n’aide pas à retrouver la sélection. C’est préférable de pratiquer dans une D2 ailleurs plutôt que d’être au championnat.

Tu comprends, d’ailleurs, ce désir de partir dans des championnats un peu obscurs pour vivre la vie de joueur professionnel?

J’aurais peut-être tenté ma chance à 18 ou 19 ans. Il faut bien comprendre que les joueurs qui partent rejoignent des clubs qu’ils espèrent être un tremplin vers un niveau encore meilleur. Le but est d’aller plus haut, et je le comprends parfaitement. Mais sincèrement, je suis heureux au Luxembourg aujourd’hui. Je suis bien installé, je termine l’école en avril… Passer pro, évidemment, mais dans une D2 roumaine ou danoise, bon… J’ai la chance de jouer des matchs européens ici, ce qui n’est vraiment pas donné à tout le monde, c’est une superbe expérience.

A posteriori, estimes-tu que rejoindre Hesperange était la bonne décision?

Bien sûr. Je suis à fond dans le projet, que je ne voyais pas à court terme. Je veux devenir un leader de l’équipe, je ne regrette rien. On voit l’évolution par rapport au début de saison. Il faut réussir à créer un socle sur lequel s’appuyer, et c’est comme ça qu’on pourra enchaîner les belles années. Après, on verra quel recrutement il y aura l’été prochain (rires) !

Ce magazine parle de la médiatisation du football au Luxembourg. Que penses-tu de la couverture de cette discipline au pays?

Cela commence à s’améliorer. Le fait de « téléviser » les matchs aide, mais il y a aussi un côté empoisonné, car on voit bien que ça ramène moins de monde au stade, et l’affluence en a pris un coup…

Est-ce démoralisant de jouer avec aussi peu de personnes dans les stades?

C’est dur. C’est chiant, tout simplement. J’ai eu des expériences comme jouer à Aberdeen en Europa League avec 30 000 personnes, c’est juste kiffant. Certaines équipes ici essaient quand même de mettre l’ambiance, avec des petits kops… Mais le reste, c’est déprimant… Tu arrives, tu as 200 personnes au mieux, qui sont à gauche et à droite dans le stade…

Tu l’expliques comment, ce manque de monde?

Je trouve que le Luxembourgeois n’a pas vraiment de culture du sport. Quand tu vois la D4 ou la D5 allemande, c’est plein. En Angleterre, pareil. La culture du foot luxembourgeois ne semble plus exister. Quand on voit des images des années 90, c’était plein, c’est dommage. Les gens ont d’autres choses à faire, ils ont Netflix, ils peuvent regarder la Bundesliga, la Série A… Mais oui, les affluences sont catastrophiques. C’est dur… Quand Dudelange s’est qualifié en Europa League, le seul match où c’était à peu près plein, c’était contre le Milan AC. Les autres rencontres, ils n’ont même pas réussi à faire guichets fermés. C’est triste, sincèrement. C’est une question de culture…

As-tu des idées sur ce qui devrait être fait pour améliorer l’attractivité du championnat?

Sincèrement, au niveau des tarifs d’entrée, il y a quelque chose à faire. Laisse entrer les étudiants gratuitement, ils iront consommer à la buvette, tu seras tout autant gagnant, avec plus de monde dans ton stade. La Jeunesse fait moitié prix pour les étudiants, ce qui est déjà un bon début. Aujourd’hui, je ne vois pas un jeune payer 10 euros pour voir Hesperange-Mondorf. Si tu le laisses entrer gratuitement, il vient voir, il boit ses deux ou trois bières, et ça peut devenir une habitude.

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