Mike Krack : la bonne formule ?

Le 14 janvier 2022, la nouvelle tombe : un Luxembourgeois va intégrer une écurie en tant que Team Principal dans la catégorie reine du sport automobile, la Formule 1. Une sorte de consécration pour celui qui, quinze ans auparavant, avait déjà travaillé avec certains pilotes tels que Felipe Massa ou Sebastian Vettel, qu’il retrouve cette année chez Aston Martin. Retour sur les premiers mois de l’ingénieur luxembourgeois au sein du folklore de la Formule 1.

Une longue expérience dans le sport automobile

À 50 ans, le Luxembourgeois a déjà un beau parcours derrière lui et un CV bien rempli. Et il n’a rien d’un novice en Formule 1 puisqu’en 1998, il rejoignait déjà BMW en tant qu’ingénieur d’essai. 

Trois ans plus tard, il rallie Sauber et gravit les échelons rapidement. En 2003, il est promu au poste d’ingénieur de course de Felipe Massa, avant de devenir ingénieur en chef lorsque l’écurie se transforme en BMW-Sauber. Il côtoie alors celui qui n’est encore qu’un jeune pilote, Sebastian Vettel : « J’exerce dans le sport automobile depuis plus de 20 ans et j’ai travaillé en Formule 1 avec Sebastian Vettel en 2006 et 2007, lorsque j’étais ingénieur BMW-Sauber et qu’il était le pilote d’essai de l’équipe. J’ai un immense respect pour sa vitesse et ses capacités, et ce sera fantastique de le retrouver », a notamment déclaré Mike Krack lors de sa signature chez Aston Martin.

Il fait ensuite un bref passage en Formule3 chez Kolles & Heinz Union et Hitech puisqu’en 2010, il revient chez BMW, cette fois-ci en tant qu’ingénieur du département DTM (Championnat d’Allemagne des voitures de tourisme). En 2012, nouveau changement de perspectives, Mike Krack s’engage dans l’aventure Porsche en tant que chef d’ingénierie de piste pour l’équipe en lice au Championnat du monde d’endurance. Il travaille notamment beaucoup sur la 919 Hybrid, qui remporte une victoire et fait quatre podiums.

De 2014 à 2022, il occupe de nombreux postes de nouveau chez BMW, touchant aux programmes de Formule E, IMSA et GT. En 2018, Mike Krack est nommé Head of Race & Test Engineering, Operations and Organisations.

La consécration

Le 14 janvier 2022, c’est la consécration : l’ingénieur automobile luxembourgeois est nommé directeur d’équipe d’Aston Martin Formula One Team. Un séisme dans le monde du sport au Grand-Duché : il s’agit en effet d’une grande première, car jamais jusqu’ici un compatriote n’avait été promu à un tel poste dans le milieu de la compétition automobile. « Aston Martin est l’une des plus grandes marques automobiles au monde, et avoir été invité à jouer un rôle de premier plan dans la réussite en Formule 1 avec un nom aussi illustre est un défi que j’ai l’intention de relever avec énergie et enthousiasme. Cette équipe basée à Silverstone m’a toujours impressionné. Le team est plein de gens talentueux et de vrais compétiteurs. La culture et les valeurs sont ce qui est nécessaire pour réussir dans le sport automobile. Je le sais et mes nouveaux collègues de l’équipe Aston Martin F1 le savent aussi. Nous allons travailler incroyablement dur. Nous voulons gagner. Ensemble, nous le ferons », déclare Mike Krack au moment de sa nomination.

Le Luxembourgeois débarque dans l’écurie de James Bond pour remplacer Otmar Szafnauer, parti chez Alpine. La saison 2020-2021 a été décevante pour l’équipe Aston Martin, qui visait la troisième place et a finalement terminé à une ingrate septième place. Lawrence Stroll, le boss d’Aston, est en tout cas convaincu que Mike Krack est celui dont l’équipe avait besoin pour passer un cap :

« Gagner en Formule 1 consiste à rassembler les meilleurs efforts de tous les principaux acteurs pilotes, ingénieurs, mécaniciens, tout le monde et Mike est parfaitement placé pour réussir exactement cela ; il est l’homme qu’il nous fallait. Nous embauchons de nouvelles personnes brillantes chaque semaine. La construction de notre nouvelle usine avance très bien. Nous avons une liste fantastique de superbes sponsors et partenaires. Nous sommes sur le point d’entamer la deuxième année de notre plan quinquennal, dont l’objectif est de remporter les Championnats du monde de Formule 1. Tous les ingrédients dont nous avons besoin sont réunis. Mike jouera un rôle central et de premier plan, sous la direction de Martin Whitmarsh, et dirigera nos fonctions techniques et opérationnelles. Notre objectif collectif est de réaliser ces nobles ambitions. Nous sommes sur ce chemin. »

Un constat partagé par Martin Whitmarsh, directeur général du groupe : « Mike Krack est exactement le type de directeur d’équipe dynamique et moderne. En travaillant avec nos autres hauts dirigeants sous la direction de Lawrence [Stroll] et ma direction générale, ainsi qu’avec notre personnel toujours croissant d’employés qualifiés et dévoués, nous assurerons le succès au championnat en Formule 1 que nous, chez Aston Martin F1, sommes si déterminés à atteindre. Ayant occupé des postes très élevés dans le sport automobile chez BMW et Porsche, soutenu par une formation d’ingénieur en Formule 1 avec Sauber, Mike possède un mélange d’expérience et d’expertise qui fait de lui le choix idéal pour nous. Il travaille bien avec les pilotes, aspect qu’il a priorisé lors de son passage chez BMW ces dernières années, et aussi avec les ingénieurs, puisqu’il parle leur langue. »

Dans son style à lui, le Luxembourgeois arrive sur la pointe des pieds, avec l’intention de prendre ses marques et son temps : « Pour le moment, on a beaucoup de discussions personnelles avec les chefs d’équipes et de départements pour comprendre comment tout le système fonctionne. Et je pense qu’il faudrait être fou pour renverser chaque pierre et tout réorganiser. L’équipe a eu de bons résultats, elle a besoin de quelques petites choses pour passer à l’étape suivante.
Mais ce n’est pas en mettant les choses sens dessus dessous que nous allons le faire. J’ai une approche conservatrice, j’essaie d’apprendre autant que possible, d’apporter ma philosophie et ma réflexion, ce qui est toujours un travail d’équipe positif, parce que la motivation vient toute seule. Surtout que les gens ici sont extrêmement motivés, vous pouvez me croire. Il s’agit donc de gérer ça proprement. »

Les premiers doutes des observateurs

Voilà pour les premiers pas du Luxembourgeois dans sa nouvelle maison, pour la découverte de son environnement, pour le temps des poignées de main accueillantes et des sourires bienveillants. Mais dans le milieu exigeant et sans pitié de la Formule 1, certaines voix s’élèvent déjà, avec l’intention de gâcher la fête, ou au moins de faire entendre un autre son de cloche que les salamalecs de circonstance. À commencer par l’ancien pilote Gerhard Berger, 10 victoires en 210 Grands Prix, aujourd’hui directeur du Championnat GTM, qui ne mâche pas ses mots : « Quand je vois ce qui a été fait en DTM [avec BMW], je ne vois tout simplement pas comment Aston Martin pourrait être sur la bonne voie avec lui. Pendant toutes ces années […], BMW n’a jamais vraiment été constamment compétitif », lâche-t-il en guise d’entrée en matière, avant de sortir la sulfateuse : « Un jour ils se retrouvaient sur la grille de départ en bonne position et ils ne savaient pas pourquoi ils en étaient là. Le lendemain ils se retrouvaient en fond de grille, sans en savoir davantage. Et on parle de DTM ! Le DTM est une discipline géniale, mais la F1 est une division à part. Ici, vous devez être le meilleur des meilleurs. Et je ne vois pas cela en lui. » Mike Krack appréciera. Et ce n’est pas le début de saison de l’écurie britannique qui va calmer le jeu…

Un début de saison compliqué

On ne peut en effet pas dire que les Aston ont réussi leurs deux premiers Grands Prix. À Bahreïn, la mauvaise nouvelle est arrivée quelques jours avant les qualifications, avec un Sebastian Vettel obligé de déclarer forfait pour cause de covid. Le quadruple champion du monde a laissé sa place au pilote remplaçant, Nico Hülkenberg. Mais ce changement de dernière minute ne peut pas être la seule explication aux 12e (Stroll) et 17e (Hülkenberg) places. Le « marsouinage » dont souffre la voiture et les choix qui doivent être faits pour le limiter sont notamment mis en avant. L’équipe technique n’a ainsi pas eu d’autre choix que celui de relever le niveau de la caisse pour permettre à ses pilotes de ne pas vivre un enfer à force d’être secoués dans la ligne droite principale, et encore plus sur les bosses. En Arabie Saoudite, ce n’était guère mieux. Nico Hülkenberg, qui remplaçait à nouveau Sebastian Vettel, et Lance Stroll, ont terminé aux 12e et 13e places, soit les dernières places des voitures encore en piste à l’arrivée. 

À l’heure où nous écrivons ces lignes, Aston Martin n’a toujours pas inscrit le moindre point en championnat et pointe à la dernière place du Championnat constructeurs, à égalité avec Williams. Mais de l’extérieur, les critiques ne se concentrent pas que sur la piste, mais également sur la stratégie globale de l’écurie et de son boss, Lawrence Stroll. Parmi les plus acerbes, on trouve Ralf Schumacher, qui a déclaré après la course : « Ils veulent y arriver trop vite et ça ne marche pas en Formule 1. On ne peut pas juste prendre beaucoup de gens et beaucoup d’argent, les mettre dans un pot, les remuer brièvement et en sortir quelque chose. L’équipe a choisi une approche façon bulldozer et ça n’a pas marché chez Toyota. » L’Allemand a ensuite directement critiqué les méthodes managériales du propriétaire d’Aston Martin : « Il veut maintenant participer aux réunions (équipes, FIA, promoteurs) et leur dire ce qu’ils doivent faire. Si c’est le cas, ça va être difficile. » En quittant l’écurie pour rejoindreAlpine, Otmar Szafnauer avait déclaré : « Il n’y a pas de place pour deux papes. » Une sortie qui donnait le ton et annonçait les problèmes…

Si les débuts n’ont pas été flamboyants pour Mike Krack et sa nouvelle carrière en Formule 1, nul doute qu’il aura encore l’occasion de prouver qu’il a sa place dans la catégorie reine du sport automobile. Si l’ingénieur luxembourgeois doit avoir les reins et les nerfs assez solides pour pouvoir démontrer toutes ses qualités, il pourra a priori compter sur un soutien de poids : Sebastian Vettel, qui s’était réjoui de son arrivée en février dernier. « Je crois que l’équipe va réellement bénéficier de son attitude et de ses connaissances. Pas seulement en tant qu’ingénieur, mais dans l’ensemble, car il a eu beaucoup d’expériences différentes. Et je pense qu’à ce stade, cela ne peut que nous aider à élargir nos horizons », avait déclaré le quadruple champion du monde allemand. En espérant que ça dure !

François Pradayrol & Julien Sins

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