Edito : Super League : vers la mort du football ?

Un coup d’état. Si le mot peut paraître fort, c’est exactement ce qu’il s’est passé, ce matin avec l’annonce de la Super League par douze clubs de l’élite européenne. Une mutinerie motivée par la recherche d’encore plus de profit, d’écrasement de la masse et une absence de solidarité totale envers le monde du football. Plus que refuser ce projet, il convient aux instances du football ou autre de sanctionner avec sévérité cette fronde abjecte.

Florentino Perez, dans un communiqué démontre qu’il n’a pas peur du ridicule. En justifiant la création de cette Super League par le désir de combler « les attentes des supporters », le président madrilène ne semble même pas mesurer l’aberration de ces propos. Ainsi, cette nouvelle compétition, déclarée sans la moindre approbation des instances dirigeantes aurait vu le jour pour satisfaire le public. Il fallait oser. Car, depuis cette annonce, la tendance est bien à la colère, voire révolte de la vox populi. Et on peine à comprendre comment ces dirigeants initiateurs du projet n’ont pas anticipé une telle réponse négative.

À quel moment quelqu’un a t’il pu penser qu’un tel projet ne se heurterait pas à l’opinion de la masse ? Déjà fatigué de voir de plus en plus de ces joueurs devenir inaccessibles, pensionnaires d’une bulle opaque et imperméable, comment le peuple pourrait-il accepter ce nouveau championnat qui ne montre aucune plus-value si ce n’est les gains financiers de ces déjà geants ? Ainsi, une quinzaine de clubs devraient être assurés de doubler, voir tripler leurs revenus financiers, dans une période où le monde dans sa globalité souffre d’une récession profonde et voit des difficultés à joindre les deux bouts. C’est cette absence totale d’empathie avec la réalité, cette déconnexion totale du vrai monde qui choque ici le plus. Et l’absence de concertation avec les joueurs, pourtant pions essentiels de ce sport inquiète tout autant. Ainsi, pas loin des théories du complot les plus délirantes, douze hommes se sont retrouvés en catimini pour échauder un « nouveau monde » dans lequel ils pourraient, toujours plus, s’enrichir sur le dos des moins lotis et devenir absolument intouchables. Il est consternant, et c’est le mot, de découvrir une bonne fois pour toute le nombrilisme aigu de ces dirigeants qui, loin de réaliser leurs situations de privilégiés pensent plutôt à encore plus creuser le fossé entre eux et le reste du monde.

La mort de l'équité sportive

Et quid de l’équité sportive ? Il est risible de voir Andrea Agnelli, président de la Juventus de Turin soutenir ce projet. Sous quelle légitimité sportive la Vieille Dame mériterait-elle une place dans l’élite ? Trois éliminations consécutives en huitième de finale face à l’Ajax, l’Olympique Lyonnais et le F.C Porto justifient-elles réellement un ticket parmi les meilleurs ? Alors qu’à l’heure actuelle, le club historique n’est pas assuré de disputer la Ligue des Champions parce que d’autres clubs, plus modestes comme l’Atalanta, Napoli ou encore la Lazio se battent corps et âmes sur le terrain – la où tout devrait se jouer – quel message envoyons nous si nous éradiquons l’incertitude pour certains haut-gradés ?  Et, plus choquant encore, la présence d’Arsenal dans ces douze frondeurs. Moqués pour ses performances ridicules depuis des années, à quel moment ce club mérite t’il d’être considéré comme la crème de la crème ? Leicester n’a t’il pas plus de mérite au vu de son énorme progression ces dernières années ? L’idée qu’un passé glorieux est une garantie pour l’éternité démontre au mieux une absence totale de remise en question, et au pire un obscurantisme et une incompréhension totales des lois de notre système économique.

Il y a évidemment bien d’autres aspects dérangeants à ce projet. À l’heure où les efforts environnementaux sont mis en place un peu partout, voir des joueurs prendre l’avion tous les trois jours à travers l’Europe pour participer à des rencontres risque de faire sérieusement grincer les dents. Et, puisqu’il est nécéssaire de le rappeler, un clash entre le Bayern et le PSG est prestigieux et passionnant car il n’arrive que peu souvent. Au même titre que le foie gras, les feux d’artifices ou encore une grosse soirée entre amis, la grandeur d'une activité est totalement proportionnelle à sa rareté. Et, à force de bouffer des gros chocs toutes les semaines, tout ceci deviendrait forcément vite indigeste.

Les clubs traditionnels, triste illusion

Il est encore plus effarant de voir que, loin de Manchester City ou le PSG – nouveaux riches – ce sont bien des clubs mettant en avant leur histoire et profond lien avec leurs supporters qui ont lancé le projet. Et c’est Gary Neville, en direct à la télévision, qui a parfaitement résumé le bien triste message qu’offrent là ces clubs historiques : « Liverpool se présente comme le club du peuple, « You’ll never walk  alone »… Manchester United, crée par des travailleurs de la ville, et ils osent vouloir partir dans une ligue sans compétition, dans laquelle ils ne peuvent être relégués ? C’est une honte totale et nous devons lutter pour reprendre le pouvoir que les tops clubs du championnat ont pris. Ce n’est rien d’autre que de l’avidité. Ce sont des imposteurs, les propriétaires de Liverpool, United, Arsenal, Chelsea, ils n’ont rien à faire dans le football. Il y a une histoire de football de plus de cent ans dans ce pays, avec des fans qui ont vécu et aimé inconditionnellement ces clubs, et il faut protéger ces supporters, ils en ont besoin. (…) United n’est pas en Ligue des Champions, ni Arsenal, ni Tottenham, et ils veulent un passe-droit divin pour être dans la plus haute compétition européenne ? Tout ceci est une vaste blague, et l’heure est venue d’enlever le pouvoir des mains de ces décideurs véreux. Trop, c’est trop ». Si la diatribe de l’ancien joueur est concentrée sur les clubs anglais, ces propos sont parfaitement applicables aux clubs historiques espagnols ou italiens. Obnubilés par le système américain qui empêche toute arrivée de nouveau venu dans la compétition phare, ces dirigeants ont donc crée la Super League, qui se veut être la rentrée massive d’argent, et ce quel que soit les résultats sportifs. Autant dire par là que le football passe dorénavant au second plan, bien loin des valeurs boursières des différents effectifs. Le football est mort, vive le football.

Un tel acte doit avoir une réponse forte. Si demain, une douzaine de régions d’un pays décidaient de quitter leur nation pour créer la leur – dans un seul désir de profit – il va sans débat que les autorités refuseraient ce désir d’émancipation, et sanctionneraient avec fermeté les instigateurs de ce coup d’état. C’est en ce sens que les organisations doivent agir. Il faut frapper avec autorité et sans prendre en compte le statut de pontes qui est octroyé à ces clubs. Depuis des années, l’on assiste à la mort lente du football populaire au profit d’encore et toujours plus de recettes financières. Le monde amateur est à l’agonie tandis que plus que jamais, les Big 5 des cinq championnats majeurs se gavent encore plus. Un appétit gargantuesque qui cette fois, est allé trop loin, et qui doit, de manière ferme et sans équivoque, être sanctionné. Au risque sinon, de totalement exploser en plein vol.

Tendai Michot

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