Sebastien Thill : « Cela va rester dans l’histoire »

C’est un but qui a fait le tour du monde. Une frappe canon, monstrueuse, d’une limpidité et puissance rares, et qui a offert la victoire au Sheriff Tiraspol sur la pelouse de Santiago Bernabeu. L’auteur de ce but : Sebastien Thill. Ce dernier revient sur ce moment inoubliable, la notoriété qui en a découlé, l’excellent début de son club en Ligue des Champions, et évidemment la sélection. Entretien avec le premier Luxembourgeois à avoir marqué en Ligue des Champions.

Le téléphone sonne toujours autant ou ça commence à redescendre ?

Ca commence à descendre tout doucement, après des journées assez chargées. Ca a été assez intense, mais on revient à un rythme un peu plus normal maintenant.

Comment tu gères toute cette notoriété, de faire le tour de l’Europe et le buzz ?

Cela fait toujours plaisir que les gens parlent de toi, en particulier si c’est positif. Maintenant, je garde les pieds sur terre, je ne m’enflamme pas, mais en effet, c’est un sentiment agréable. C’est sûr que cela a fait un joli buzz qui est même allé au-delà du Luxembourg ou de la Moldavie. Je suis heureux tout simplement. J’ai eu beaucoup de sollicitations, d’un peu partout, mais je préfère me concentrer sur les messages d’amis plutôt que les médias. Mais j’ai reçu un énorme soutien du Luxembourg, c’est agréable.

Peux tu nous raconter le but ?

Je vois qu’il y a une touche pour nous, et qu’au seize mètres, il n’y a personne en retrait pour la deuxième balle. Je me positionne donc à une vingtaine de mètres, on fait la touche, la balle arrive, elle rebondit parfaitement sur mon pied gauche et je ne me pose pas de questions. Je me dis que soit elle part au-dessus du stade, soit elle rentre, et heureusement elle est dedans.

Tu le sens tout de suite qu’elle part bien ?

Absolument. Au toucher, et comment elle part, tu sais qu’elle est dedans.

Tu as eu une célébration assez contenue, quand bien même on te sentait très heureux. C’est en toi de contrôler tes émotions ?

Je suis quelqu’un d’assez calme en général. Et le match n’était pas terminé mine de rien, donc il fallait vite se reconcentrer. J’étais très heureux, j’ai quand même enlevé le maillot, mais je suis en effet plutôt du genre posé.

Marquer le but de la victoire, à Bernabeu, dans les toutes dernières secondes sur un but exceptionnel… C’est les rêves que l’on fait gamin. Tu réalises quand même l’étendue de ton exploit ?

Je réalise ce que j’ai fait je crois. Quand tu es gosse, tu rêves de jouer la Champions League, et donc s’y retrouver et marquer ce but, cela fait quelque chose…

Tu avais dit avant le match ne pas ressentir de pression particulière, comment tu te l’expliques ?

Je trouve déjà que ça n’est pas le Real Madrid le plus exceptionnel de ces dernières saisons sincèrement. Et avant tout, je suis joueur de football : on veut jouer contre les tout meilleurs. C’était l’occasion parfaite, et il ne faut pas « se chier dans le froc » (rires) ! Paradoxalement, j’ai eu plus de pression lors du premier match de Ligue des Champions. On jouait à la maison, il y avait cette fameuse musique… J’étais plus tendu. Cette fois contre le Real, je connaissais mieux la compétition, j’avais fait mon baptême. Et surtout, on ne pouvait que gagner. Si tu perds, tout le monde va te dire que c’est normal, que tu es le Sheriff. On pouvait y aller plus tranquille; sans véritable pression.

Est-ce que ce genre de buts, c’est un peu une manière de dire « hé oui, il y a des footballeurs talentueux au Luxembourg ? 

Il n’y a que trois luxembourgeois qui ont joué la Champions League, donc c’est déjà fort d’être là. Alors marquer, c’est énorme. Cela va toujours rester dans l’histoire, et cela permet de mettre en lumière les joueurs pour le Luxembourg. Cela fait du bien pour tout le monde au pays. Si on revient cinq, dix ans en arrière, c’était plus difficile pour les joueurs de partir à l’étranger et aujourd’hui c’est quand même plus simple. Après, il ne faut pas oublier les bons résultats de la sélection nationale qui permettent aussi de donner une plus belle exposition aux footballeurs au Luxembourg. 

Est-ce que tu n’as pas peur que ce but va faire que tout le monde ne te résumera qu’à cet exploit ?

Non, je ne pense pas qu’on ne me jugera que sur la frappe là. On sait quel joueur je suis, ce dont je suis capable.

Ca chambre un peu entre frères ou c’est plus du soutien ?

Franchement, c’est à la cool. J’ai plus chambré mon frère contre le Shaktar que là (rires) ! Contre eux, je leur ai dit « mec tu n’as même pas fini champion, et nous de par notre Ligue, on se retrouve en Ligue des Champions et on les bat (rires) ! ». Mais sincèrement, on s’est écrit, ils étaient content pour moi, c’est très sain. C’est que du bonheur.

Y a-t-il une compétition entre vous ?

On n’est pas en concurrence. On se soutient, on regarde les matchs des uns et des autres. Quand mes frères marquent je suis heureux, mais bizarrement je marque souvent la rencontre suivante (rires) ! Le week-end dernier Olivier a marqué, puis moi à mon tour. Cela fait toujours plaisir de nous voir réussir et j’espère que Vincent va revenir vite après sa blessure. Mais avant tout, on espère que cela va aller au mieux pour tout le monde.

Revenons un peu sur la situation au classement : peut-on dire que l’objectif maintenant, c’est la qualification ?

Cela fait quasiment dix matchs en Europe que l’on est invaincu. Il faut capitaliser là-dessus. On est sur deux victoires, donc tout est positif. Mais on doit continuer de regarder rencontres après rencontres. On demeure les outsiders, il reste quatre journées qui vont être particulièrement accrochés. On ne doit pas se casser la tête, et rentrer sur chaque rencontre avec la même mentalité.

Mais n’y a t-il pas plus de pression maintenant ? Avec six points, il y a maintenant quelque chose à perdre. Cela peut-il jouer au moment de rentrer sur le terrain ?

Non, je ne pense pas. On reste l’outdsider malgré ses six points. Tu dois encore jouer deux fois l’Inter, puis le Real. Il faut savoir ne pas se voir trop beau. Ils vont maintenant encore mieux se préparer face à nous, moins nous sous estimer, et rentrer avec une vraie hargne. À nous de gérer ça pour continuer cette vague de bons résultats. 

Comment se passe la vie en Moldavie ?

Je joue tous les matchs, je me sens bien, c’est une petite ville sympathique. C’est pas la folie, mais c’est agréable à vivre. Tu as tes restaurants, tes parcs, tes habitudes. C’est un peu comme une petite ville russe. Le public ne rentre pas dans la catégorie hardcore, c’est un soutien assez tranquille, posé. Cela n’est pas comme si tu jouais à Marseille ! Les gens nous supportent mais cela reste mesuré. J’ai une vie tranquille, on ne m’arrête pas dans la rue, c’est à la cool.

Vous avez énormément de nationalités au sein du groupe. Comment se débrouille la communication, la vie de l’effectif ?

On a un groupe qui parle russe, un autre français, un autre anglais, espagnol, et ainsi de suite…. Il ya toutes les langues, mais cela fait du bien. Tout le monde rigole avec tout le monde, on est une vraie famille. Que cela soit sur le terrain ou en dehors, on se chambre et on s’apprécie. On trouve toujours de quoi rire dans le vestiaire.

Vis-à-vis de la sélection, vous vous apprêtez à jouer deux rencontres compliquées face à la Serbie et le Portugal… C’est quoi l’objectif de ces deux matchs ?

Prendre des points. Notre match à Zagreb n’a pas été très bon, surtout en première période. La seconde avait été meilleure, mais on doit faire mieux cette fois.

Qu’est ce qui ne s’est pas bien passé face à la Serbie ? Evidemment, c’était un adversaire très talentueux, mais le match n’avait pas été parfait. Comment te l’expliques tu ?

Il y avait avant tout un vrai manque de fraîcheur physique.  Et on n’a pas vraiment réussi à développer notre jeu, peut-être parce qu’on a trop respecté l’adversaire. Quand on sortait la balle de l’arrière, on ne jouait pas forcément de la même manière que d’habitude. On a manqué de sérénité. Dans les duels, ils ont été plus costauds que nous. On doit faire mieux cette fois. Mais c’est certain que la fraîcheur physique a joué gros. Quand tu n’es pas au mieux, c’est difficile de t’en sortir. Si tu as un pas de retard, tu ne peux pas vraiment répondre au défi. C’était compliqué de rentrer dans le duel. Je ne vais pas tout justifier avec ça, mais je pense que si on se sent mieux, on pourra bien plus les gêner. On doit se focaliser sur une meilleure gestion du ballon.

Sans le vouloir, tu es un peu devenu le symbole de l’anti Superligue. C’est quoi ton opinion sur cette compétition ?

Je suis absolument contre. L’idée de jouer que pour l’argent, ça me dépasse. Comment est-ce qu’on définit les meilleurs ? Regardez notre équipe, regardez nos résultats. On ne devrait pas avoir le droit de jouer contre eux ? On a prouvé sur le terrain. On s’est qualifié après quatre tours, on mérite d’être là et de défier les plus gros. Et pourquoi le Real devrait-il automatiquement avoir sa place d’assurée ? Pourquoi pas Villareal, Bilbao ou d’autres ? Si ils sont mieux sur une saison, ils doivent être là, point barre. Le mérite sportif doit rester avant tout. C’est la magie du football de voir les petites équipes se défier au meilleur. On tue le football si les plus riches sont assurés de gagner encore plus d’argent et être protégés.

T’as prévu un nouveau tatouage vis-à-vis de cette rencontre ?

Peut-être. Je pense mettre la date du but sur ma jambe gauche. Avec mon autre tatouage, qui montre un gamin qui rêve plus jeune des grandes compétitions , ça serait un bon mix. Il y a sûrement une petite place pour ça. Et d’ailleurs, je tiens à préciser parce que beaucoup de choses ont été dites : ce n’est pas le trophée de la Ligue des Champions. C’est simplement l’idée de gagner des championnats, des coupes, des trophées, d’atteindre le top du top. Le drapeau du Luxembourg était important, car je veux absolument jouer pour mon pays, et le représenter au plus haut niveau. Et qui sait, peut-être que la sélection pourrait un jour participer à un très grand tournoi ?

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