Le Sheriff fait la loi

Le club de Transnistrie, région qui a prononcé son indépendance en 1990 mais non reconnue par les institutions internationales, est la propriété du conglomérat Sheriff, une entreprise incontournable en Moldavie, et créée par deux anciens membres du KGB. Après avoir battu le Shakhtar et le Real, le Sheriff affrontera l’Inter le 19 octobre prochain.

Le Sheriff Tiraspol est un ovni. Que ce soit sur le plan sportif, économique et même politique. Alors que le monde du football découvre le club de Transnistrie (aussi appelée république moldave du Dniestr), héroïque vainqueur à Bernabeu après des débuts en fanfare face aux Ukrainiens du Shakhtar, nombreux se demandent d’où sort ce club encore inconnu sur la grande scène européenne il y a peu.

Officiellement, le Sheriff Tiraspol est un club représentant la Moldavie, petit pays de 3,5 millions d’habitants à l’est de la Roumanie. Dans les faits, Tiraspol est la capitale de la Transnistrie, région située à l’est du fleuve Dnestr, et peuplée d’un demi-million d’habitants, une province de Transnistrie qui se revendique indépendante, possède sa douane, son gouvernement, son drapeau, son hymne, son alphabet (cyrillique alors que le reste du pays utilise le latin), ainsi que sa propre monnaie. Depuis 1992, Tiraspol et la Transnistrie ne reconnaissent pas le gouvernement de Chisinau, et espèrent un rapprochement avec la Russie. Des lointains cousins russes qui gardent une influence militaire prépondérante sur la région, qui constitue d’ailleurs une plaque tournante du trafic d’armes en Europe.

Des trophées nationaux en pagaille

Pourtant le Sheriff Tiraspol évolue bel et bien dans la première division moldave, la « Divizia Nationala ». Un championnat qu’il domine de la tête et des épaules, avec 19 titres de champions, et 17 coupes de Moldavie remportées en 21 ans. En quelque sorte, le Sheriff remporte le championnat d’un pays qu’il ne reconnaît pas, mais dont il est contraint de représenter les couleurs sur la scène européenne.

Et après 18 saisons ou le club a manqué la qualification pour la C1, cet été il a enfin réussit à accéder à la plus prestigieuse compétition européenne. Quatre tours de qualifications qui ont vu le club battre les Albanais de Teuta, les Arméniens d’Alashkert, puis l’Etoile Rouge de Belgrade, et enfin le Dynamo Zagreb, deux habitués de la Ligue des Champions. Un parcours quasiment parfait, avec six victoires et deux matchs nuls.

Le coeur économique moldave

Mais revenons à nos moutons. Région historiquement la plus développée de Moldavie, déjà à l’époque soviétique, la Transnistrie possède une industrie lourde, une industrie textile (Tirotex est d’ailleurs la deuxième entreprise dans ce domaine en Europe), un secteur viticole dynamique, et accueille le géant énergétique russe Gazprom, qui produit 90% de l’électricité moldave. Une puissance économique qui explique la domination du club dans son championnat.

Fondé en 1997 sous le nom de Tiras, le club de Tiraspol appartient au conglomérat Sheriff, propriété de Victor Gushan, ancien des services secrets russes, et qui a profité de l’effondrement de l’URSS de Gorbatchev pour devenir un de ces entrepreneurs/oligarques typiques de la période post-soviétique. Un empire constitué de supermarchés, de stations-services, de chaînes de télévision, de casinos, d’entreprises de construction, de téléphonie, de fabrication de pain et même de cognac !

Une tour de Babel

A peu près tout en somme, ce qui a permis au club de se construire un nouveau stade en 2002, la Bolshaya Sportivnaya Arena, d’une capacité de 14 000 places. Une enceinte située au coeur d’un complexe sportif de 65 hectares, avec un stade annexe de 9500 places, huit terrains d’entraînement, un palais des sports, une académie pour les jeunes du club, un hôtel et des salles de conférence, le tout inauguré à l’époque par Sepp Blatter et d’un coût de 400 millions d’euros. Si la Moldavie est l’un des pays d’Europe les plus pauvres, le Tiraspol est de loin le club le plus riche du pays, avec un effectif d’une valeur totale de 12 millions d’euros, six fois plus que la valeur de celui de Zimbru, le rival de la capitale, et quatre fois plus que le Petrocub, vice-champion en 2021. Sur sa liste UEFA, le Sheriff a un total de 27 joueurs inscrits, avec 17 étrangers parmi eux, qui représentent 16 nationalités différentes! Des joueurs qui viennent du Malawi, de Trinité-et-Tobago, du Luxembourg bien sûr avec Sébastien Thill, mais aussi de l’Ouzbékistan avec l’attaquant Yakhshiboev. Dans le détail on y dénombre six nationalités sud-américaines différentes, et huit africaines. Une véritable Tour de Babel qui attend désormais l’Inter de pied ferme.

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