Jenny Warling : « C’est un peu la mafia… je n’ai pas d’autres mots »

La karateka luxembourgeoise, Jenny Warling, revient sur le scandale de sa disqualification aux championnats du monde à Dubaï. Avant de faire le bilan de sa saison, d’évoquer son avenir, et de porter son regard sur le karaté luxembourgeois et international.

Revenons sur ces championnats du monde complètement fous à Dubaï. Vous êtes passée par toutes les émotions avec cette qualification en finale, puis la disqualification après la réclamation posée par l’Américaine… Racontez-nous.

Elle menait le combat, j’étais en train de perdre, c’était à moi d’aller chercher des points. Il restait encore 50 secondes donc tout était encore possible. Je tente un coup de pied et elle m’agrippe, je tombe en arrière et du coup je me tiens à elle pour éviter la chute, on tombe finalement toutes les deux. Pour moi, à ce moment-là, c’est une chute normale, banale, on se relève et on continue. Sauf qu’elle se blesse, toute seule, en chutant sur le tatami, et elle ne peut pas continuer…Là sur le coup, j’ai du mal à réaliser que je suis en finale. J’étais très heureuse, surtout que la place en finale était synonyme de qualification pour les World games. Plus de 40 minutes après, on était en train de quitter la salle pour rentrer à l’hôtel quand un officiel nous rattrape pour nous annoncer que je suis disqualifiée. Là je ne comprends pas du tout, au début je crois à une blague. Car je n’ai vraiment fait aucune faute qui mérite une disqualification… Encore maintenant, quand je vous parle, je n’ai toujours pas compris. Ma fédération fait ensuite un appel sur le fait que l’Américaine n’a pas respecté le délai pour déposer sa réclamation. Normalement, la réclamation doit suivre dans la minute la fin du combat et il reste 4 minutes de plus pour la rédiger, et la commission a 18 minutes pour échanger et trancher. Là, tout cela se passe plus de 40 minutes après la fin du combat… La décision finale est prise par le président de la fédération internationale de karaté qui décide qu’on ne bouge pas et qu’on reste sur cette disqualification.

Visiblement, le règlement n’a pas été respecté, mais au-delà de cet aspect, sur le plan sportif, votre adversaire ne peut même pas disputer la finale, car blessée. Cela rend la décision de ne pas vous qualifier encore plus absurde, on n’est pas dans l’esprit du sport…

C’est un peu la mafia, je n’ai pas d’autres mots. Je suis juste contente de ne pas être dépendante du sport et d’avoir un travail à côté (ingénieure qualité). On la laisse passer juste pour qu’elle ait la médaille, pour pas qu’elle finisse 5e

Vous perdez finalement le combat pour la médaille de bronze. Au-delà de la déception, que retenez-vous de ces championnats du monde ?

Je crois que j’ai quand même fait de très beaux championnats du monde. J’ai battu des filles très fortes comme la Biélorusse contre laquelle j’avais perdu aux championnats d’Europe, la Chilienne qui fait championne mondiale en U21 et que je bats en quart de finale. Au deuxième tour je bats une jeune suisse assez forte, qui a bien progressé. Et ce n’était pas évidemment car il y avait beaucoup de stress… les championnats du monde n’ont lieu que tous les deux ans, là c’était trois à cause du Covid. Je savais que c’était une chance d’être là, il y avait de la pression. C’est juste un peu chiant de ne pas prendre la médaille… mais je n’ai aucun regret, j’ai tout donné. Il ne me manque pas grand-chose, à part un peu de chance.

Cette année, vous faites cette 5e place à Dubaï, une 7e place aux championnats d’Europe à Porec, et surtout une 3e place au K1 à Moscou. Quel bilan faites-vous de cette saison ?

C’est tout simplement ma meilleure saison. Je termine 7e mondiale, je n’ai jamais atteint ce classement jusqu’ici. Donc je suis évidemment très satisfaite.

Quel est le programme des semaines à venir, vous allez souffler un peu ? Quels sont ensuite les prochains objectifs ?

Un peu de repos oui… Même si je joue au foot pour le plaisir! Je coupe le karaté jusqu’en janvier, mais j’ai une licence de footballeuse au SC Ell, je joue attaquante. J’en ai toujours fait un peu à côté. Je n’arrive pas à couper complètement du sport, sinon je ne dors pas bien ! Mon corps est trop habitué et si je n’ai pas ma dose, ça ne va pas. Ensuite, fin janvier, je participe au tournoi de Paris, qui fera pour moi office de préparation pour le K1 de Dubaï en février. C’est là que je donnerai tout car c’est le dernier tournoi qualificatif pour les World games en juillet à Birmingham.

Vous avez 27 ans, comment voyez-vous la suite de votre carrière ?

C’est une bonne question ! Je regarde saison par saison maintenant. Il faut voir comment mon corps va suivre, avec les blessures. En août dernier j’avais encore une distorsion du ligament antérieur du genou. En 2018, j’ai subi une rupture du ligament croisé de l’autre genou. Donc on verra au fur et à mesure, au feeling… Là, l’objectif, c’est les World games. Après, il y a des jeunes qui vont aussi arriver pour prendre la relève.

Justement, à ce sujet, en tant que numéro 1, quel regard portez-vous sur le karaté luxembourgeois ?

Franchement il y a encore beaucoup de travail. Je suis allée voir les derniers championnats nationaux une semaine après Dubaï et il reste du chemin à faire, chez les jeunes notamment. Il faudra plusieurs années, changer beaucoup de choses… Les talents, le potentiel sont là. Mais nous devons améliorer la formation des athlètes. Nous rencontrons les mêmes problèmes que dans d’autres sports… Après, il n’y a pas de solution miracle et je sais que c’est compliqué. Nous sommes malgré tout sur le bonne voie.

Pour finir, un mot sur le statut du karaté aujourd’hui à l’échelle internationale. Après l’expérience à Tokyo, votre discipline ne sera plus sport olympique dès Paris en 2024. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Cela me rend un peu triste de ne pas avoir pu participer à Tokyo puisque cela se révèle être une occasion unique au final. Donc ça fait encore plus mal… Mais bon, comme je le disais, heureusement j’ai un travail à côté pour conserver un équilibre. Je suis très déçue pour notre sport… mais quand vous voyez l’image que l’on donne avec ma disqualification aux championnats du monde, est-ce qu’il n’y a pas une logique ? Si on ne respecte pas les règles parce que le président de la fédération internationale décide qu’on ne les respecte pas… Ce type de comportement ne correspond pas à l’esprit olympique. On ne mérite peut-être pas d’être un sport olympique.

Dernières nouvelles