Josy Barthel, destin légendaire

Depuis le début du XXe siècle, environ 500 athlètes ont fait flotter les couleurs luxembourgeoises dans le contexte olympique d’été. Parmi eux, seul un a glané le plus précieux des métaux. Josy Barthel, c’est une médaille d’or aux Jeux d’Helsinki en 1952, c’est Harvard, c’est aussi un poste de ministre. Retour sur une légende nationale.

C’était il y a bientôt 94 ans maintenant, et pourtant, l’histoire semble n’avoir pris aucune ride. C’est certainement à cela que l’on reconnaît les « grands » hommes. Ils font partie de ceux qui entrent dans la mémoire collective, de ceux qui ont connu plusieurs vies en une. Joseph Barthel, bien plus connu sous le diminutif de « Josy », appartient à cette catégorie. D’illustre sportif à étudiant pour une des universités les plus renommées du monde en passant par une carrière de ministre, le natif de Mamer aura, semble-t-il, tout vécu.

Il n’est alors qu’adolescent lorsqu’il fait parler de lui sur les tartans grand-ducaux. À 16 ans seulement, Josy Barthel, jusqu’alors inconnu du public, s’illustre sur la scène nationale. À l’été 1943, dans un Luxembourg alors occupé par l’Allemagne nazie, le jeune Barthel, licencié au SV Moselland 07, participe au championnat de son pays. Sur la piste de Diekirch, il prend part au 1.500 mètres entouré des deux favoris Charles Heirendt et Josy Deloge, détenteur du record national sur le 3.000 mètres. Dans ce duel annoncé entre les deux cracks, Barthel surprend tout le monde et passe l’arrivée le premier. Le très jeune athlète remporte la première course de sa carrière naissante et prometteuse en 4 minutes 26 secondes et 9 centièmes. Quelques mois plus tard, toujours avec la tunique du SV Moselland, il fait partie de l’équipe qui affronte les athlètes de Strasbourg. Le match se tient à Esch. Il bat le coureur alsacien Bässler en 4 minutes 16 secondes et 4 centièmes, toujours sur 1.500 mètres. C’est alors que le déclic vient : cette distance sera dorénavant sa spécialité.

Une ascension fulgurante

À cette époque, le jeune Josy est vite rattrapé par l’actualité sanglante de la Seconde Guerre mondiale. Appelé à entrer dans un régiment anti-aérien pendant les affrontements qui font rage, il déserte finalement en septembre 1944. Plus de 10.000 Luxembourgeois, âgés de 17 à 24 ans, furent enrôlés. Un tiers perdit la vie. Loin de ce tumulte, il part étudier la chimie à Strasbourg dans le cadre de ses études universitaires. Il ne met pas de côté pour autant sa carrière d’athlète et continue à s’entraîner d’arrache-pied. L’athlète d’1m73 et 68kg glane une neuvième place aux Jeux de Londres en 1948. Il enrichit aussi son palmarès du titre mondial des étudiants en 1949 et en 1951.

Une année avant son second titre universitaire, l’ancien entraîneur du Reich allemand Woldemar Gerschler est engagé comme coach de Barthel. Fruit d’un accord conclu entre Lucien Hayardt, alors premier vice-président de la Fédération luxembourgeoise d’athlétisme, et le Docteur Max Danz, président de la Fédération allemande de l’Ouest, la mission de Gerschler est de mener les athlètes luxembourgeois aux prochains Jeux olympiques, qui se tiennent à Helsinki. Sa carrière prend alors une tournure internationale.

Josy Barthel parvient à se qualifier pour cet événement planétaire qui a lieu à l’été 1952 à Helsinki. Dans la capitale finlandaise et dans un système de compétition innovant avec trois tours de qualifications, Barthel découvre le grand monde. Pas impressionné, il passe les phases de manches et demi-finales assez facilement. Parmi les 52 coureurs initiaux, il parvient à prendre une des douze places qualificatives pour la grande finale qui a lieu le 26 juillet. À l’inverse des principaux prétendants au titre suprême, Barthel ne s’est pas économisé lors des tours de sélection. Loin de la prudence tactique, il remporte la première manche dans laquelle il est aligné en 3 min 51 secondes et 6 centièmes, devant l’Allemand Günther Dohrow. Le « Luxembourgeois volant » s’impose ensuite dans la première des demi-finales en 3 minutes 50 secondes et 4 centièmes devant des pointures comme l’Américain Bob McMillen et les Suédois Aberg et Ericsonn.

Du « Luxembourg Flyer » à « Water Josy »

Le samedi 26 juillet 1952, sur les coups de 18h (heure locale), Josy Barthel fait partie du groupe de 12 athlètes alignés sur la finale du 1.500 mètres. Parmi eux, l’Américain Bob McMillen et surtout l’Allemand Werner Lueg sont ultra-favoris. Suivent des demi-fondeurs comme le Français Patrick El Mabrouk, ou encore le Britannique Roger Bannister, qui peuvent faire démentir les pronostics. La course est très tactique. Tout le monde se regarde. McMillen et Lueg semblent confirmer leurs prévisions de médailles. Mais dans les derniers hectomètres, Josy Barthel rattrape les deux pistards à la faveur d’un sprint ahurissant. Le Luxembourgeois coupe la ligne le premier avec une allure qui le fait voler et lui permet d’hériter du surnom mythique « The Luxembourg Flyer ». Le dossard 406, petit gars de Mamer, vient d’écrire son histoire et celle de sa patrie en lettres d’or pour l’éternité. Un conte tellement inattendu que la fanfare du stade qui joue les hymnes n’avait pas prévu les partitions de l’hymne luxembourgeois ‘Ons Heemecht’.

Ce magnifique succès en cache un autre à venir. Barthel, qui vient d’une famille modeste, rejoint dans la foulée une des écoles les plus prestigieuses du monde. Il débarque à Harvard, aux États-Unis, pour étudier et décrocher un diplôme d’ingénieur en sciences. Il peut, à côté, profiter des installations sportives américaines pour s’améliorer en athlétisme. Pendant qu’il continue d’empiler les sacres nationaux – 11 d’affilée entre 1946 et 1956 –, le champion olympique s’établit bien en terre américaine aux côtés de sa femme Fernande. En 1954, Barthel court le mile de Boston en 4 minutes 7 secondes et 7 centièmes. Il tape alors dans l’œil des médias américains, qui suggèrent que le « petit homme de Mamer » pourrait bien atteindre le « Dream Mile » – en d’autres termes, qu’il pourrait briser la barrière des quatre minutes.

En prenant sa retraite sportive à la fin des sixties, c’est alors loin des pistes que l’ingénieur diplômé d’Harvard enchaîne ensuite d’autres jolis succès. Président de la Fédération luxembourgeoise d’athlétisme pendant dix ans, puis président du Comité olympique et sportif luxembourgeois pendant cinq ans, il a connu surtout l’honneur d’être nommé ministre de l’Énergie, des Transports et de l’Environnement entre 1977 et 1984. Avant-gardiste, Joseph Barthel s’est fait un nom en tant qu’écologiste convaincu, militant pour la protection de l’eau auprès du gouvernement, ce qui lui a valu le surnom de « Water Josy ». Modèle d’abnégation dans ses résultats sportifs, mais aussi modèle de vie pour les futures générations lorsqu’on sait qu’il était issu d’un milieu modeste, voilà quasiment 30 ans que Josy Barthel s’est éteint d’une longue maladie. C’était le 7 juillet 1992, mais aujourd’hui encore, il guide le sport luxembourgeois.

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