La magie du direct…

Le départ de Vincent Hognon du FC Swift Hesperange, deuxième entraîneur à être débarqué depuis le début de cette saison de BGL Ligue a rappelé à quel point la précarité est une donne inévitable dans le cosmos du ballon rond. Et a aussi mis en évidence à quel point le métier que nous faisons tous est soumis à des évènements en dehors de notre contrôle, qui influent parfois douloureusement le travail que nous soumettons. Retour sur une semaine dans laquelle un magazine a été réfléchi, validé, mis en place, avant de brutalement devoir changer du tout au tout en l’espace de quelques heures.

Comme toujours, la rédaction se retrouve pour mettre en place la nouvelle édition de Dribble!. Alors que nous nous targuons de sortir de nombreux magazines consacrés à bien des sports (Vroom, Guidon, Swing, Noob, Mental…), notre journal sur le football est le seul bimensuel. Et une édition à peine bouclée, nous voici déjà dans la réflexion sur la prochaine. Alors que le Progrès avait été mis en lumière lors de notre dernière publication, il faut choisir le sujet de notre prochaine Une. Quelques discussions, quelques propositions, certaines bottées en touche, d’autres longuement discutées, avant de se retrouver d’accord : Vincent Hognon. Après tout, c’est un entraîneur de Ligue 1, qui a coaché dans le club voisin du FC Metz, et qui a débarqué en BGL Ligue avec un statut fort souverain. Le fait qu’il ait rejoint le Swift, qui ne cache pas ses ambitions de dominer le championnat Luxembourgeois joue aussi évidemment en sa faveur. Le choix coule de source. La décision est alors officialisée. Seule question : avons nous le temps de mettre tout cela en place ?

Le réseau est vite activé, et en quelques temps, nous sommes en contact avec l’ancien joueur de l’ASNL, Saint-Etienne et l’OGC Nice. Nous expliquons nos désirs et espérons une réponse positive. C’est chose faite. Reste maintenant à travailler le dossier. Direction Google, où les analyses de ses résultats, son parcours et interviews récentes comme anciennes sont passés au crible. Un simple entretien à base de « le plus important c’est les trois points », très peu pour nous. On tombe sur des interviews de 2007, 2009, 2012, 2021. Les questions sont préparées, validées, le studio pour le shooting réservé. Jusqu’à présent, tout roule. Hognon, assez laconique dans ses réponses via messages nous fait tout de même s’inquiéter d’un interlocuteur assez avare en mots. 

Vendredi, 10h30 : nous sommes en place au Studio. Le fond du magazine a été décidé, les instructions quant au type de photos recherchées transmises à notre photographe Olivier Minaire. Et, puisque c’est Vincent Hognon après tout, nous préparons même une vidéo à transmettre sur les réseaux le jour de la sortie du magazine. Dès l’arrivée de l’alors entraîneur du Swift, nous sommes rassurés. Souriant, bienveillant, et particulièrement loquace, l’homme aux quasi 400 matchs en Ligue 1 se prête au jeu, et offre de longues réponses particulièrement intéressantes.

Après plus d’une heure d’entretien, nous passons à la phase technique du rendez-vous. Les photos s’enchaînent, les poses défilent. Place à la vidéo : les réponses nous font rire. Nous restons encore de longues minutes avec Hognon pour discuter de tout et de rien, et ce dernier, au moment de partir nous remercie pour le moment, et nous demande de lui transmettre une édition. Le sentiment du devoir bien fait, nous pouvons retourner au bureau où le travail de mise en page commence. Avec très peu de temps devant nous, la transcription de l’interview commence. Les photos sont envoyées à l’équipe de Design, qui nous propose plusieurs alternatives, comme toujours. Les aller-retours entre nos bureaux et le Studio Blomst s’enchaînent, les débats sur certains choix sont légion. Mais le sentiment général est bien celui-ci : « Putain, cette interview claque ». Ne reste plus qu’à boucler tout cela pour lundi matin.

Les 5 étapes du deuil

Dimanche, 16h00 : le magazine est en place. Ne reste que quelques articles à écrire sur la journée du week-end, et toute l’équipe rédactionnelle est en déplacement sur les rencontres, pour offrir le meilleur coverage. Et puis soudain, le début des vrais emmerdes. Un lien est envoyé dans le groupe de discussion commune. Vincent Hognon, ça serait fini. Comment ? Déjà ? Une blague ? Vient alors le déni. « Impossible, c’est trop tôt ». « Encore un stagiaire qui a voulu faire son intéressant en balançant une info pas crédible pour un sou ». Et pourtant, la source est sérieuse. On essaye de ne pas céder à la panique, mais c’est complexe. Les appels s’enchaînent, que cela soit entre nous, ou vers notre réseau pour en savoir plus sur cette annonce symbole de mort de notre magazine. Le grand patron, mis au courant lui aussi annonce : « Donnez moi 30 minutes de réflexion ». Celles-ci semblent durer cinq heures. La douce Battin bue en ce joli dimanche ensoleillé commence à faire son effet sur l’auteur de ces lignes, qui jure à haute voix et rentre dans la deuxième étape du deuil, la colère. Il maudit Hognon, incapable de conserver son poste. Il maudit le Swift, qui agit trop vite. Il maudit le créateur des jours calendaires, qui est en train de foutre le média dans une sacrée merde. Il maudit sa copine qui lui envoie un « tu vas bien ? » au pire des moments. Non, ça ne va pas.

Vient alors la négociation. On se dit qu’on devrait pouvoir tricoter l’interview et la rendre passable. On contacte Vincent Hognon en espérant pouvoir le faire parler dans les quarante-cinq minutes et remplacer la précédente interview par une nouvelle, mais fort logiquement, l’entraîneur nous annonce ne pas vouloir communiquer. On comprend ce qu’a du vivre le Real Madrid cet été lorsqu’il a essayé d’enrôler Kylian Mbappé : la négociation n’est pas possible.

C’est donc foutu. Et voici l’heure de la dépression. Métier de merde. Pourquoi ne pas avoir travailler dans l’immobilier, c’est tellement plus safe. D’ailleurs, pourquoi travailler tout court ? On trime toute la vie avant de tomber à 48 ans d’une rupture d’anévrisme sans jamais avoir profité, hormis sept jours à Acapulco en 2014. À quoi bon tout ceci ? Quel est le but, l’intérêt ? Les derniers Star Wars sont des purges, Tik Tok nous dépasse, le vaccin nous a inoculé la 5G, notre ex s’est mariée avec un mec objectivement parfait. Foutue vie, foutu boulot, foutue interview.

Et puis, lentement mais sûrement, vient l’acceptation. Ça n’était pas notre faute. L’équipe de journalistes ne rechigne jamais face à un défi, et la solidarité entre nous est immense. On va se relever, on va trouver. Il faut décaler la sortie, oui. Mais à nous de repartir, et au final, on trouvera, car on aime ce que l’on fait. On a aimé cette édition, mais il faut savoir lui dire au revoir, et repartir comme neuf. Ça va le faire. 

Lundi, 10h du matin : comme toujours, la rédaction se retrouve pour mettre en place la nouvelle édition de Dribble!

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