Jean Jacoby, l’artiste des JO

Joseph Alzin, en 1920, avec une médaille d’argent en haltérophilie. Josy Barthel, en 1952, avec la seule médaille d’or à Helsinki. Et Marc Girardelli, aux Jeux olympiques d’hiver d’Albertville en 1992, avec deux médailles d’argent. Ces trois noms sont fort connus de la population du Grand-Duché pour leurs exploits aux olympiades, ayant contribué à faire parler du Luxembourg et à apporter joie et fierté à ses habitants.

Pourtant, bien moins connu que ses compatriotes, un homme né au Luxembourg est recordman du nombre de médailles d’or dans sa catégorie et est, à ce titre, une légende des Jeux olympiques. Cet homme, c’est Jean Jacoby, double médaillé d’or en 1924 et 1928 aux épreuves… d’art. Retour sur un homme, une époque, et une compétition malheureusement non homologuée aujourd’hui par le Comité international olympique.

Jean Jacoby, de son vrai nom Jean Lucien Nicolas Jacoby, est né le 26 mars 1891, avenue de la Gare au Luxembourg, d’un père cheminot et d’une mère appartenant à l’aristocratie luxembourgeoise. Pourtant, la famille quitte très vite le cocon natal du fait de la mutation du père à Mulhouse. C’est donc en Alsace que l’enfant fait ses études primaires et secondaires. D’abord à Mulhouse, avant de rejoindre le Lycée Saint Jean à Strasbourg, où ses capacités artistiques sont très vite remarquées par ses divers professeurs, qui décèlent en lui un réel talent. Jacoby passe alors deux ans à l’École des Beaux-Arts de Strasbourg, où il perfectionne ses aptitudes dans plusieurs catégories d’art, comme la peinture, le dessin, ou encore la sculpture. Son talent pour les pratiques artistiques est alors plus que confirmé, tout comme sa passion pour ces activités. Il met alors un terme à ses études pour vivre de sa passion et devenir professeur de dessin au lycée. C’est grâce à un certificat d’aptitude que sa nouvelle position est validée, et ce titre ne peut lui être fourni qu’en adoptant la nationalité allemande, l’Alsace étant encore en 1912 propriété de l’Empire germanique.

Cette profession, le futur médaillé ne la pratiquera qu’un an, avant d’arrêter, déçu par cette voie. Il décide alors de devenir artiste indépendant. Tandis que cette année 1913 est celle de l’amour avec son mariage, à 22 ans, avec Anne Augustine Rose Richter, c’est aussi celle du début de l’exercice de sa passion pour le naturalisé allemand, qui commence à travailler en tant que portraitiste à Strasbourg, mais aussi publicitaire pour diverses compagnies françaises et allemandes. C’est aussi durant cette période que Jacoby devient ami avec un grand nombre d’artistes de l’époque, qui auront une grande influence sur son développement et sa notoriété grandissante. Les années suivantes verront sa famille s’agrandir, avec la naissance de son fils Regnard, mais aussi son penchant artistique – facilement identifiable – se développer, que l’on commence à retrouver dans diverses expositions ou affiches à travers les rues de Francfort, où il réside désormais.

La fin de la guerre actée, Jacoby est déchu de sa nationalité allemande, et plutôt que d’opter pour des papiers d’identité français, il décide de recouvrir la nationalité luxembourgeoise. Si durant cette période, son portfolio artistique continue d’évoluer, l’artiste se découvre alors une passion pour le football, auquel il s’adonne avec une franche régularité. C’est au cours de cette activité que le père de famille commence à sympathiser avec de futurs résistants, tels que Bill Groenke ou un certain… Jean Moulin. Sa pratique de l’activité physique va se rapprocher de son métier, où l’on commence à déceler un lien évident entre sa passion du sport et ses différentes œuvres artistiques, à l’image de son illustration du livre Le français par les choses et par les images. Mais son grand fait notable de l’année 1923 est sa victoire au concours organisé par le journal L’Auto (ancien nom de L’Équipe) avec son œuvre Passage des haies. Avec ce prix prestigieux remporté devant plus de 4.000 concurrents, Jacoby se crée une réputation à l’international et est conforté dans son idée de mélanger sport et art. Une stratégie qui trouvera tout son potentiel l’année suivante.

Jeux olympiques de 1924 et 1928 : la consécration

Cher à Coubertin, qui lutte pour son instauration depuis le début des Jeux olympiques modernes, le concours artistique des olympiades, déjà en place depuis 1912, connaît sa première véritable embellie lors des Jeux de Paris, en 1924, où le nombre de « compétiteurs » atteint 193. 

Dans la catégorie peinture, le désormais connu artiste polyvalent Jacoby rafle la mise avec son œuvre Étude de sport, composée d’un trio de peintures intitulées respectivement Corner – FootballDépart – Athlétisme et Rugby. Une consécration pour le Luxembourgeois de 33 ans, qui allie avec perfection ses deux passions pour remporter un trophée prestigieux qui attirera l’œil de bon nombre de journaux qui rêvent de collaborer avec lui. Décidant de partir vivre à Berlin, il accepte l’offre de la maison d’édition Ullstein et participe alors à l’édition de nombreux journaux de la capitale allemande. Il en profite aussi pour devenir entraîneur de football, mais également de handball, prouvant là encore son amour pour tous les sports, en particulier collectifs. 

Si les Jeux olympiques de Paris marquent le début de l’engouement pour la compétition artistique, ceux d’Amsterdam, quatre ans plus tard, en sont indéniablement son apogée. Avec plus de 1.000 candidats, la concurrence est acharnée et le public réellement passionné par ces joutes d’un autre style. Malgré une compétition féroce, Jacoby réussit un exploit qui n’a jamais été égalé depuis, celui de remporter une seconde médaille d’or, dans la catégorie dessin cette fois-ci (soulignant par là sa polyvalence), avec l’œuvre Rugby

Un nouveau succès historique qui lui ouvre alors grand les portes des rédactions de tout le pays. Le double médaillé devient alors Bildredakteur pour le journal radio Sieben Tage, un papier massif qui tire à 300.000 exemplaires. Si la voie vers le succès semble toute tracée pour le Luxembourgeois, la réalité politique va malheureusement entraver son parcours. Avec la montée en puissance d’Hitler et du nazisme, et les opinions politiques opposées de Jacoby, ce dernier va préférer quitter l’Allemagne et retourner dans la ville de son enfance, Mulhouse. Un départ douloureux mais inévitable pour un homme aux antipodes de l’idéologie politique du futur « Führer ». Pourtant, cela n’empêche pas Jean Jacoby, appelé « Hans » par ses amis allemands, de participer à sa quatrième édition (il participe aussi aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1932, mais sans résultats marquants) des Jeux olympiques de… Berlin, en 1936.

Dans une édition des JO lourdement soumise à la propagande de l’idéologie nazie, « Hans » tente tout de même sa chance. Alors que les critiques d’art, illustrateurs et autres journaux sont tous unanimes sur la supériorité des dessins de Jacoby, il repartira bredouille de la compétition. Il n’est pas possible aujourd’hui de savoir si ses affinités et désaccords politiques avec une Allemagne déjà profondément nazie ont pu jouer un rôle dans l’absence de médaille, mais, au travers de nombreuses lectures de l’époque, la surprise et la déception d’observateurs de la compétition sont bel et bien réelles au vu de la qualité des œuvres fournies par l’homme alors quarantenaire.

C’est sur cet échec intrigant que les escapades olympiques de « Hans » Jacoby s’arrêtent. En effet, seulement quelques semaines plus tard, le travail et la vie du Luxembourgeois sont stoppés brutalement à la suite d’une attaque cardiaque soudaine qui le laissera sans vie, le 9 septembre 1936, à Mulhouse, au jeune âge de 45 ans.

L’artiste luxembourgeois laisse ainsi derrière lui l’image d’un homme profondément travailleur, au talent évident et à l’amour du sport gigantesque. Auteur d’une riche carrière dans son domaine, les nombreux titres prestigieux qu’il a remportés font figure d’autorité quant à la certitude de son immense talent. Si aujourd’hui, le CIO a malheureusement décidé de ne plus homologuer les médailles d’or artistiques et de les supprimer du décompte des victoires des pays, la place du natif du Grand-Duché au sein de ce palmarès est figée dans les textes, et personne ne pourra jamais lui enlever cet exploit qui ne sera sûrement jamais égalé : celui de recordman luxembourgeois de médailles d’or de l’histoire des Jeux olympiques. Chapeau, Hans.

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