Guerre actée entre le PGA Tour et le Liv Tour : qu’en pensent les acteurs luxembourgeois ?

Séisme, guerre, choc, trahison, opportunité, évolution, déception… Les qualificatifs varient grandement pour parler de ce qui est aujourd’hui le plus grand choc de ces dernières décennies dans le monde du golf. Alors que le Liv Tour, soutenu financièrement par l’Arabie Saoudite, attire de plus en plus de joueurs et que la PGA tente de riposter, voici l’avis de certains acteurs du golf luxembourgeois, entre intérêts personnels, modernisation, hypocrisie et grands noms.

« Vous excusez-vous pour avoir parlé avec franchise sur le gouvernement saoudien, ou vous excusez-vous  pour l’hypocrisie honteuse dont vous faites part en prenant leur argent ? » 

Dans l’histoire des conférences de presse du golf jamais, au grand jamais, une question n’avait été posée avec autant de virulence. À qui s’Phil Mickelson qui, après avoir défini l’Arabie Saoudite comme un pays de « scary motherf***ers » ayant un « bilan horrible en matière de droits de l’homme », doit s’expliquer pour avoir choisi de rejoindre le Liv Tour, en échange d’un chèque de plus de 150 millions d’euros. Qu’une telle légende du sport soit interrogée avec une telle hostilité est symbolique de la période houleuse que traverse le golf mondial.

Retour en arrière : depuis des années, l’Arabie Saoudite, riche de l’argent du pétrole, essaie de s’offrir une image plus positive dans le monde entier. Souvent accusés de bafouer les droits de l’homme et d’avoir une vision rétrograde du monde, les Saoudiens investissent massivement dans le domaine du sport pour redorer leur blason. Une stratégie évidemment visible dans les achats de clubs de football à travers l’Europe, mais aussi via d’autres disciplines sportives, signe de l’ambition massive de ces États souverains. Une campagne marketing monstrueuse qui a fini par atteindre le milieu du golf, avec la création du Liv Tour. Longtemps incapable de mettre à mal l’hégémonie du PGA Tour, le petit nouveau a réussi à percer l’an passé, avec l’arrivée de Greg Norman en tant que porte parole de l’organisation. De fil en aiguille, la toile s’est tissée, capturant en son sein des noms prestigieux comme Phil Mickelson et Dustin Johnson (pour la bagatelle de 150 millions d’euros chacun), Sergio Garcia ou encore Louis Oosthuizen. En leur offrant des rémunérations particulièrement conséquentes, le Liv Tour a dorénavant assez de joueurs – et de médiatisation – pour pouvoir devenir un véritable concurrent du PGA Tour, qui semble pris au dépourvu après l’entrée fracassante sur le marché de cette opération étatique.

Un PGA Tour qui a enfin trouvé le moyen de riposter et n’y est pas allé par quatre chemins. Entre sanctions financières et interdictions de participation aux compétitions, l’institution historique a officialisé la guerre entre les deux nouveaux géants du golf mondial, entraînant ainsi des déclarations brûlantes de toute part, à l’image de Rory Mcllroy, particulièrement véhément envers ses homologues « déserteurs ». Un avis d’ailleurs partagé par Lenny Mines qui se désole de ce nouveau circuit : « Je trouve cela très triste que les grands joueurs du PGA Tour, qui a une histoire, un immense prestige et qui a beaucoup fait pour les golfeurs, rejoignent le Liv Tour. La seule motivation réelle est l’argent. C’est difficile à comprendre quand ce sont des gens qui sont déjà si fortunés. Mais bon, c’est la même chose dans le foot : un joueur qui gagne 20 millions par an ne va pas hésiter à signer chez un autre club qui en propose 50… »

Autre motif du courroux du jeune luxembourgeois : la fameuse décision du Liv Tour d’offrir de l’argent à tous les joueurs, y compris ceux qui ne passent pas le cut. Un choix qui est évidemment en contradiction totale avec la méritocratie dans le sport consistant à récompenser ceux ayant le mieux performé : « Dans le PGA Tour, si on ne passe pas le cut, on ne prend rien, ce qui me paraît logique. Mais ici, tout le monde va repartir avec beaucoup d’argent. Cela explique sûrement pourquoi beaucoup de golfeurs moins bien classés décident de rejoindre ce tour. »

Si le LIV Tour a déjà réussi à attirer beaucoup de noms prestigieux dans sa toile, tout n’est pas gagné pour autant. Ainsi, malgré une popularité grandissante, la diffusion télévisée n’existe pour le moment pas encore. La raison principale : les plus grands diffuseurs que sont ESPN, CBS, NBC ou encore Amazon ont récemment signé un nouveau contrat avec le PGA Tour pour neuf années de retransmission télévisée et ne peuvent ainsi que difficilement s’offrir une compétition concurrente. Un camouflet pour l’outil saoudien qui a pourtant su faire preuve d’inventivité et de modernité en diffusant ses tournois par lui-même, sur des plates-formes comme YouTube. Une audace que reconnaît Tom Holtzinger, qui apprécie de voir une diffusion bien plus en phase avec les nouvelles générations : « Cela apporte tout de même une nouvelle manière de consommer le sport. Ils font de grands concerts, de gros événements, on voit du streaming sur YouTube : c’est adapté à une génération demandeuse, et il y a plein de choses à prendre là-dedans… » Pas suffisant, pour l’un des membres de TwoBrothers, d’opiner en faveur du Liv Tour sur lequel le golfeur a tout de même de sérieux doutes : « Arriver en proposant des millions et des millions qui vont aussi mener à une interdiction de jouer sur les majeurs historiques, c’est complexe… Je comprends l’envie de rejoindre cette compétition de certains joueurs, qui ont la cinquantaine passée et ont peu gagné sur le PGA Tour, car c’est une véritable opportunité, mais le choix d’autres, qui ont 23-24 ans et ont toute une carrière devant eux et un énorme talent, d’y aller en disant grosso modo “je m’en fous du PGA Tour et de tout ce qu’ils ont apporté”, c’est assez moche… Je comprends le PGA Tour qui dit que les mecs crachent dans la soupe. » 

Pour l’institution de golf historique, il est vrai que la claque est puissante et, dans l’ensemble, assez inattendue. Car à l’image de Dustin Johnson ou Phil Mickelson qui avaient pourtant clamé haut et fort leur désintérêt pour ce nouvel arrivant, de nombreux joueurs semblent n’avoir que peu de considération pour la PGA. Un positionnement qui déçoit Marie Baertz, qui estime que l’argent a aussi ses limites : « La PGA a beaucoup fait pour tous ces joueurs et ils ne le rendent pas en retour. Ils quittent seulement la PGA pour plus dargent, je ne trouve pas cela très loyal. En soi, cest normal qu’en tant que golfeur professionnel, on veuille de largent. Mais à un moment, il faut se rendre compte de l’éthique et remercier la PGA. »

Un avis partagé par Patrick Platz, directeur du golf de Kikuoka et ancien joueur professionnel allemand qui admet lui aussi comprendre certains et moins d’autres : « Je peux comprendre des golfeurs comme Koepka qui a connu beaucoup de blessures et sait qu’il ne lui reste plus que quelques années à jouer. Mais d’un autre côté, je trouve ça triste que seul largent compte. Je pense que l’US Tour et l’European Tour, pour le côté historique, ont énormément apporté à ce sport, et pour cela, cest dommage. » 

Alors que beaucoup s’insurgent, tant au sein des compétiteurs que des observateurs, Holtzinger tient à rappeler qu’il est facile de juger, et qu’une offre conséquente n’est pas si aisée à rejeter. « Si demain, au travail, une entreprise concurrente te propose 10 fois ta paye, qui va dire non ? Cest très compliqué… », avant de tempérer en rappelant que – selon lui – le prestige des compétitions devrait tout de même prendre le pas sur l’enrichissement personnel. « L’argent est évidemment un facteur énorme, mais aller sur le LIV Tour et ne plus pouvoir jouer le Masters dAugusta… Quand tu gagnes des millions par an déjà, est-ce que tu as vraiment besoin de plus ? Je suis peut-être un peu naïf de croire que dans le sport, il y a des choses plus importantes que largent, mais je pense qu’il y a encore des mecs qui veulent marquer l’histoire du sport et selon moi, cela se fera plus sur le PGA que le LIV… » 

Dernier exemple de la manière dont les monarchies du Golfe riches en pétrole utilisent leurs moyens quasi illimités pour élever leur profil international et changer la perception des pays occidentaux, le LIV Tour semble avoir, comme les précédentes croisades sportives, réussi à faire son trou. De là à devenir l’institution numéro un ? Nous nous garderons pour le moment de le clamer, même si les actualités récentes semblent aller dans ce sens. Il sera intéressant de voir la réaction du PGA Tour qui, jusqu’à présent, a sorti les muscles et dégainé la sulfateuse. Une stratégie compréhensible, mais qui pourrait vite se révéler contre-productive, comme l’affirme Tom Holtzinger. « Je pense que si lexode continue à cette vitesse, le tremblement de terre ne va pas sarrêter là. Et si le PGA Tour garde sa posture, il pourrait finir par manger sa propre queue. Une position hybride pourrait être la solution, mais comme souvent, chacun va défendre ses propres intérêts. » 

Si la position du tour historique est encore susceptible de changer en fonction des futurs développements, les différents projets antérieurs saoudiens semblent garantir une chose : le LIV Tour ne s’arrêtera devant rien ni personne.

Tiger Woods a choisi son camp

La plus grande star de l’histoire du golf n’a pas hésité une seule seconde avant de prouver sa loyauté envers le PGA Tour. Aux déclarations retentissantes clamant son amour pour l’institution historique s’est ajoutée la manière. En effet, Tiger Woods aurait refusé une offre « hallucinante » d’un montant, selon de nombreuses rumeurs, équivalant à un milliard de dollars, pour rejoindre le LIV Tour. Pas suffisant pour convaincre le Tigre qui aura su prouver que, Dieu merci, l’argent ne peut effectivement pas tout acheter.

Dernières nouvelles