Les chiffres qui ne mentent pas

C’est après un long travail de recoupages d’informations à travers bon nombre de rapports officiels de l’UEFA, la FIFA ou autres sites internets spécialisés* que l’équipe de Dribble! a pu, en filtrant et conservant seulement les chiffres les plus marquants, comparer les moyens et capacités du Grand Duché, en opposition avec les 17 équipes le précédant au classement UEFA. Décryptage.

Depuis la création de la nouvelle compétition européenne – « Conférence League » – l’attribution des places qualificatives européennes a sensiblement changé. Ainsi, pour le Luxembourg, 35e à l’indice UEFA, l’accession à l’Europa League a disparu au profit de la troisième compétition continentale. Pour pouvoir y prétendre de nouveau, mais aussi sauter un tour préliminaire de qualification pour la Ligue des Champions, le Grand-Duché se doit d’atteindre la 17e place. Une progression de base assez compliquée, mais qui parait à la limite de l’impossible tant que la BGL Ligue ne se revêtira pas d’un statut professionnel. En effet, à la suite de l’analyse de nombreuses statistiques clés du Grand-Duché et de ses concurrents européens, il n’est pas nécessaire d’être un fin spécialiste pour comprendre le problème : pour pouvoir continuer de monter au classement UEFA, l’investissement financier, le staff technique mais aussi les infrastructures de travail devront nécessairement se voir offrir un coup de boost. Le Luxembourg est tout simplement avec la Grèce la nation ayant le plus petit taux de joueurs du cru en son sein. Sur les stats que nous avons recoupé, le Luxembourg apparait loin des moyens engagés par les autres nations. Avec l’investissement le moins élevé dans la refonte des infrastructures, les salaires annuels les plus bas et des capacités et remplissages de stades bien loin de ses homologues, le Grand-Duché ne boxe tout simplement pas dans la même catégorie. Il est d’ailleurs important de remarquer que la progression de notre petit pays est absolument remarquable puisqu’avec des moyens bien plus limités, les clubs de BGL Ligue ont réellement réussi à se faire une (petite) place au sein de nations disposant de budgets bien plus conséquents.

Une véritable prouesse si l’on se fie aux études officielles de la FIFA et l’UEFA, qui mettent clairement en lumière le gigantesque écart entre le Luxembourg et ceux qui se trouvent devant au classement.On ressent d’ailleurs chez les pensionnaires locaux, à la vue du tableau, un désir de s’accrocher aux normes et niveau du football actuel, avec pas moins de 86% des clubs ayant effectué des rénovations (de toute échelle…) sur les dix dernières années. Un nombre qui démontre bien le désir d’avancement des clubs de BGL Ligue mais qui, logiquement au vu des différences de budgets, pèse bien moins lourd en termes de dépenses que la majorité de ses concurrents. Situées dans la tranche basse des montants investis pour les rénovations diverses et variées (amélioration de stade, centre de formation, pelouses etc…), les équipes de BGL Ligue semblent ainsi essayer de continuer à grandir, mais assurément pas au même rythme que les autres pays situés dans ce tableau qui, à l’aide d’investissements plus fournis peuvent avancer plus vite et plus fort. Un bémol pourrait néanmoins être signalé dans le sens où, oui, il y a un investissement conséquent, mais qu’au vu des moyens du pays, il semble évident que la part de budget alloué aux rénovations est bien moindre que certaines autres nations aux finances bien plus modestes.Depuis la saison 2008/09, c’est la somme rondelette de 8.000.000 d’euros qui est arrivée dans les caisses du F91.

C’est aussi cela qui pourrait expliquer le faible taux de joueurs locaux dans les effectifs. Avec une minorité de joueurs originaires du pays, le Luxembourg est tout simplement avec la Grèce la nation ayant le plus petit taux de joueurs du cru en son sein. Comment expliquer cela ? Avant tout, par une absence de suivi fourni de la FLF, qui a bien du mal à convaincre, de par son statut amateur, ses jeunes de rester. C’est ainsi que la majorité des jeunes promesses, plutôt que de poursuivre leur formation à « domicile » prônent bien plus le départ, bien souvent en terres frontalières, là où des clubs et fédérations peuvent assurément leur garantir un meilleur suivi et développement de potentiel. Sans structures adaptées, staffs assez qualitatifs et numériquement suffisants, ou championnat réellement compétitif, le football de club se trouve dès lors dépourvu de base nationale, atout clé dans le développement de clubs à l’ossature assez solide pour progresser inexorablement. Un regard sur le nombre d’équipes dans les premières divisions concurrentes fait penser qu’en cas de professionnalisation, continuer de concourir avec autant d’équipes dans l’élite serait se tirer une balle dans le pied. En effet, en dehors de la Serbie, pas une seule première division n’est composée de plus de seize clubs.

Alors que le Luxembourg se trouve lui aussi à ce nombre au sein de sa première division, au vu de la superficie du pays, infiniment inférieure à ses voisins européens, un si vaste nombre d’écuries semble disproportionné et un sérieux frein à la tenue d’un championnat compétitif et disputé. Avec un tel nombre de participants, la possibilité de se retrouver dans une course au niveau homogène est objectivement illusoire. Une réalité qui devrait se confronter à certains clubs peu désireux de devoir lâcher leur place en BGL Ligue pour le bien commun. Un raisonnement vraisemblablement court-termisme puisque sur le long terme, une augmentation globale du niveau du championnat découlerait sur des rentrées d’argent substantielles, qui pourraient apporter autant voire plus aux effectifs luttant chaque année pour leur survie. Seulement 15% de places remplies en moyenne par rencontre. C’est d’ailleurs peut-être cette absence d’homogénéité dans la division qui explique, en partie, un taux de remplissage de stade si faible. Avec seulement 15% de places remplies en moyenne par rencontre, c’est là une perte à gagner pour les clubs mais aussi un symbole du manque d’engouement autour de la BGL Ligue à l’heure actuelle. Et la corrélation entre manque d’attractivité et visibilité semble ainsi expliquer la difficulté à l’heure actuelle du championnat de garantir sa diffusion à la télévision. Ainsi, devant des résultats si faibles en termes d’affluence lors des rencontres, la réticence à payer un certain prix pour obtenir les droits peut aisément se comprendre. Sans manne financière conséquente de droits TV qui apportent aussi de la visibilité, des moyens insuffisants pour rivaliser avec d’autres championnats, et une absence d’engouement à l’échelle ne serait-ce que nationale, la BGL Ligue et le football luxembourgeois semblent avoir atteint un plafond qu’il sera difficile à percer sans l’apport de ressources conséquentes. Se développant parfois sans véritable soutien des différentes fédérations ou des ministères, certains clubs ont réussi de par leurs avancées à accélérer le temps de passage et l’amélioration du championnat. Néanmoins, sans un véritable plan de bataille généralisé, une réforme tendant vers une compétitivité et une attractivité plus accrues et de réels investissements, il parait compliqué – pour ne pas dire impossible – de voir la ligue continuer à aller de l’avant et atteindre de nouvelles sphères propices à l’explosion du football au Luxembourg. Des bienfaits évidents de la professionnalisation.

Le cercle vertueux de la professionnalisation n’est en soi, pas difficile à expliquer. En quittant le statut amateur, le régime de professionnalisation et les obligations qui en découlent (athlétisation, préparations plus accrues, niveau amélioré des compétitions et staffs plus compétents), amènent inexorablement vers un perfectionnement de l’entraînement, de la visibilité du championnat, et de l’attractivité de la Ligue. Conséquence ? Une augmentation des moyens, tant pour recruter que pour former, et qui, il est bon de le préciser, peut amener à court terme à une différence notable de standing. Ainsi, l’arrivée de joueurs plus huppés garantirait une présence plus élevée de supporters dans les stades, et ainsi une rentrée d’argent plus conséquente. Que faire de cet argent ? Recruter, former, améliorer, et grandir, encore et encore, dans ce cercle de progression qui pourrait, passé un certain temps, permettre aux clubs luxembourgeois de pouvoir rivaliser plus fortement avec la concurrence, mais aussi glaner l’accès à des compétitions plus prestigieuses et évidemment bien plus suivies. Une amélioration de la visibilité qui garantirait l’arrivée de revenus de droits TV qui gonfleraient alors massivement les budgets des clubs. De l’argent ensuite possible de dépenser pour recruter, former, améliorer, et grandir, encore et encore…En prenant l’exemple du F91 Dudelange et des investissements massifs consentis par leur ancien mécène Flavio Becca, il est visible de voir que non seulement ces derniers ont apporté une progression sportive et institutionnelle, mais qu’ils ont aussi abouti sur de conséquentes rentrées d’argent. Ainsi, la qualification historique du club de Sud-Ouest du pays en Ligue Europa en 2018 avait rapporté pas moins de 3.000.000 d’euros (soit l’équivalent du budget du club), et ce avant même les matchs de poules.

En tout, depuis la saison 2008/09, c’est la somme rondelette de 8.000.000 d’euros qui est arrivée dans les caisses du F91.Avec un tel nombre de participants, la possibilité de se retrouver dans une course au niveau homogène est objectivement illusoire. Aussi cliché soit-il, l’adage « Pour faire de l’argent, il faut dépenser de l’argent » n’en reste pas moins une vérité de notre monde. Loin de vouloir débattre sur la philosophie capitaliste et expansionniste qui régit notre société, il n’en reste pas moins que c’est bien là-dedans que nous vivons tous. Dans un pays à la superficie de 2 586 kilomètres carrés, qui semble constamment investi dans la construction, le développement et la modernisation, le football luxembourgeois demeure une exception qui confirme la règle les empêchant de progresser. L’on pourrait arguer que le sport est une formidable vitrine pour l’exposition d’une nation, à l’image des investissements colossaux consentis par de nombreux états du Moyen-Orient depuis des années. Ou qu’un gouvernement ne sera jamais plus populaire que quand une équipe portant ses couleurs réussit un exploit retentissant. Mais notre but ici n’est pas de convaincre du besoin de modernisation d’un football luxembourgeois obsolète à coups d’arguments cyniques. Non, c’est bien l’amour du ballon rond, du pays, et de ceux qui oeuvrent jour après jour pour sa progression qui régit notre désir, chiffres en main, d’élever la voix en espérant atteindre ceux qui ont le pouvoir de réellement changer les choses. Le débat est ouvert.

* « UEFA report on training infrastructures and youth investment 2020 », transfermarkt, « FIFA professional report 2019 ».

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