Nicolas Wagner, en selle pour Tokyo

Fer de lance de l’équitation au Grand-Duché de Luxembourg, Nicolas Wagner Ehlinger est le premier cavalier luxembourgeois à se qualifier pour des Jeux olympiques. Il fera cavalier seul à Tokyo, du 24 juillet au 7 août 2021, aux rênes d’un cheval qu’il a lui-même formé et emmené au plus haut niveau. Une épopée d’un garçon au petit trot, à l’aube d’écrire l’histoire du sport équestre de l’une des plus petites fédérations, plus que jamais paré pour fouler le sol japonais.

WAGNER, VIRTUOSE DU DRESSAGE

C’est l’histoire d’un jeune homme qui s’apprête à vivre un rêve olympique, à l’aube de ses 30 ans. Une figure des sports équestres au Luxembourg, aussi concentré à cheval que discret dans la vie.

Nicolas Wagner Ehlinger est le premier cavalier à avoir validé son ticket pour porter les couleurs du Luxembourg aux prochaines olympiades.

Une sélection loin d’être anodine pour celui qui sort de quatre années rythmées par des classements et marquées par des notes toujours plus hautes. Un parcours impeccable, avec une qualification à la clé dans son groupe B, qu’il a dominé.

À la question « Comment jugez-vous votre sélection ? », il répond par une pirouette, figure incontournable de sa discipline : « C’est difficile comme question. Si je suis là, c’est que je fais partie des meilleurs. » Simplement.

Et qui de mieux que sa maman, la première à l’avoir mis en selle, pour évoquer son cavalier de fils ? « Il est très discipliné. On doit avoir une certaine intelligence pour faire du dressage. Par exemple, quand il participe à un concours, toute la nuit, il prépare déjà ce qu’il a à faire le lendemain. C’est aussi un entraînement mental, à toujours voir ce qu’on peut améliorer, ce qu’on doit changer, ça peut être des détails minuscules, ce n’est pas facile du tout. »

UNE AFFAIRE DE FAMILLE – SPORT INDIVIDUEL, TRAVAIL D’ÉQUIPE

Nicolas Wagner Ehlinger voit le jour le 2 janvier 1992, dans une famille pour qui le cheval est le dénominateur commun. « Ma mère m’a mis sur un petit poney à 3 ans, et on peut dire que j’ai fait ça toute ma vie, sourit Nicolas, dont le grand-père était président du Stud-book du cheval de selle luxembourgeois (SCSL). Mon père aime les chevaux, et ma mère, également passionnée, a une écurie depuis 2001 dans laquelle je travaille. »

« Nous sommes très unis. Nous n’habitons pas loin les uns des autres et l’écurie est au milieu. Il a deux frères et une sœur, cette dernière monte aussi en Grand Prix », complète sa maman, Martine Ehlinger. « Je suis parti en Allemagne pour faire mes études et je suis rentré il y a trois ans. Maintenant, on fait tout ensemble ici », ajoute Nicolas.

« Ici », c’est la Société hippique et d’élevage à Elvange, repaire du jeune cavalier, à la fois centre d’entraînement et pépinière de jeunes talents « On élève des chevaux, on achète des poulains. On les fait grandir, on les prépare pour leur future approbation. Nicolas a un œil fantastique. Il voit tout, il voit l’épaule, il voit l’élasticité. Il y a de nombreuses personnes qui lui téléphonent, qui envoient des vidéos de leur jument pour lui demander des conseils sur les croisements. Il décide souvent pour les autres. Il vit pour ça. »

Très tôt, Nicolas opte pour cette discipline olympique souvent assimilée à de l’art et axée sur la recherche de l’esthétique et du mouvement. « On a toujours été une écurie de dressage. J’ai testé une seule fois le saut d’obstacles car mon frère en faisait, j’ai monté son poney, mais ça s’arrête là. »

Au quotidien, il répète ses gammes avec Petra Büttner, qui le suit depuis de nombreuses années : « Elle est là presque tous les jours, elle m’accompagne depuis que j’ai 15 ans et sur les concours internationaux. Il y a aussi Ton de Ridder qui vient de temps en temps. »

Ses modèles se nomment Carl Hester, cavalier de dressage britannique médaillé d’or aux Jeux de Londres, pour qui « tout paraît facile sur un carré de dressage », ou encore Charlotte Dujardin, qui règne sans partage sur la planète dressage depuis de nombreuses années.

À l’image de ses aînés, le Luxembourgeois se plaît à s’inspirer des meilleurs cavaliers de la planète et n’hésite jamais à regarder ce qui se fait de mieux, quelle que soit la discipline.

«Il y a beaucoup de monde qui m’inspire. Je pense qu’on doit toujours prendre le meilleur chez les autres. Quand je suis sur les grands concours internationaux, je regarde tout, même les cavaliers d’obstacles, cela m’intéresse beaucoup»

Bande organisée

Si le dressage est un sport individuel, pour Nicolas, il est avant tout une affaire d’équipe, socle solide auquel le cavalier est fortement attaché. Et hors de question d’imaginer une partition solo.

Chef d’orchestre au sein d’une organisation millimétrée, le cavalier sait adapter ses journées : « Je travaille énormément, du lundi au samedi. On est aussi un business ici. J’ai des clients qui ont des chevaux chez moi pour que je les entraîne. Je monte mes chevaux et ceux des propriétaires.

«Dans mon équipe, j’ai une fille qui travaille avec moi et m’épaule avec les chevaux. On se répartit le travail. Elle gère son piquet, des jeunes comme des plus vieux. Elle les monte à la maison et participe aussi à quelques concours. Tout comme moi. Nous avons également trois autres personnes qui s’occupent des soins et du manège, ainsi que deux palefreniers.»

UNE DISCIPLINE EN PLEINE ÉVOLUTION

Le dressage, discipline olympique depuis 1902, offre un spectacle de plus en plus complet, laissant la part belle à l’expression des cavaliers. Il présente des couples auxquels les médias s’attachent et qui tissent une relation particulière avec le public.

« Le dressage a beaucoup évolué. Le niveau était déjà très élevé, mais je dirais qu’il y a une trentaine d’années, les chevaux n’avaient pas tellement les mêmes mouvements qu’aujourd’hui. Je regarde plus les chevaux avec de très bons mouvements que ceux dotés de grands mouvements, explique Nicolas, féru d’élevage. Je m’attarde aussi sur le tempérament, l’énergie et la façon dont le cheval travaille et coopère avec le cavalier. »

« Si le cheval a beaucoup d’énergie et s’en sert bien, on peut faire quelque chose. En revanche, avec un cheval qui bouge super bien mais qui est mou et n’a pas cette énergie, il sera plus compliqué d’envisager le futur, de le motiver à travailler avec son cavalier. »

Mariés au premier regard

Le binôme de Nicolas se nomme Quater Back Junior FRH et a de qui tenir. Fils de l’illustre Quaterback, le hongre alezan de 12 ans est en passe de dépasser son père, étalon allemand très remarqué, mais également étalon reproducteur hors pair et disparu trop tôt, en juin.

Un cheval compliqué qui deviendra son cheval de tête

«Je l’ai depuis qu’il a 5 ans. Je l’ai vu dans les écuries où j’ai fait mes études, chez mon entraîneur Klaus Balkenhol. Il était ici depuis une semaine, tout petit et tout maigre. Je me souviens d’un cheval un peu difficile, qui avait du caractère. Il avait beaucoup d’énergie, faisait pas mal de bêtises quand il était jeune. J’ai réussi à canaliser cela et c’est devenu un super cheval», commence le Luxembourgeois, non content d’avoir déjoué les pronostics.

« J’ai un bon œil pour détecter les chevaux »

« J’ai d’autres chevaux qui arrivent. Ils sont prometteurs. On ne le voit qu’avec le temps. Quand on regarde des poulains de 6 mois ou de 2 ans, on sait en général à 3 ans qu’on a un très bon cheval, et à 6 ans, on sent quelle direction on peut prendre. C’est un long chemin. » Une patience qui l’a emmené à ce niveau.

« Quand il est rentré il y a trois ans, il a commencé à acheter des poulains ; ils ont grandi, ils vont être débourrés. Il va les monter et leur apprendre. Quelques-uns seront vendus avant car on ne peut pas tous les garder. Ce qui est important, c’est qu’ils aient un bon galop et un bon pas.»

Il poursuit : « Il voulait me vendre un autre cheval. J’ai refusé car j’étais focalisé sur celui-là dès le début. Je pense avoir un bon œil pour détecter les chevaux. » Un atout pour cette discipline jugée minutieuse et pointilleuse. « J’ai tout appris à ce cheval, je l’ai construit. Il ne savait rien du tout. J’ai eu besoin de trois ans pour l’emmener en concours dans le calme, sans qu’il fasse de bêtises. Il réagissait comme s’il ne voulait pas y aller.»

« C’est une crème, c’est un cheval extrêmement gentil, qui veut bien faire, qui est marié avec Nicolas. Pour faire des performances comme eux deux le font, il faut vivre comme dans un mariage. Il faut se connaître, il faut sentir tous les petits nerfs, tous les petits muscles. »

« Nicolas a formé quelques chevaux jusqu’au niveau Grand Prix, mais Quater Back Junior FRH est, je pense, le meilleur »

Des souvenirs avec son cheval, il en a plein. Des bons points, des bonnes notes, et surtout quelques victoires.

Son meilleur souvenir d’une grande compétition, sa maman l’évoque avec émotion : « Quand on était à Lierre, c’était vraiment spectaculaire parce que j’étais avec lui. Souvent, je ne suis pas présente. » Ce week-end-là, d’ailleurs, le dresseur a obtenu l’un des meilleurs résultats de sa carrière dans le Grand Prix Spécial avec une note de 75.553. « Il a souvent gagné Grand Prix et Grand Prix Spécial dans le même week-end. »

Les olympiades sont le terrain de jeu favori des athlètes accomplis. « On savait que j’étais assez bon pour réussir, alors on a travaillé pour valider cet objectif. Et à la fin de l’année, à la période du Nouvel An, je savais que j’étais sélectionné », ajoute Nicolas. Une qualification validée en prenant les quatre meilleurs résultats de la saison 2019, à chaque fois sur des épreuves différentes.

Une répétition limitée mais pas tronquée

Wagner, à l’image du célèbre musicien, sait composer. Ses programmes, d’abord, qu’il adapte en fonction des échéances sportives et son calendrier sportif, crise sanitaire oblige.

« Mes entraînements n’ont pas été impactés malgré les restrictions sanitaires. Je suis à l’écurie tous les jours. Mon planning d’entraînement varie. Je me lève à 5h45, je suis à 6h à l’écurie et je commence alors à m’entraîner car il fait chaud. Je varie les exercices de gymnastique, cela dépend du feeling que j’ai avec mes chevaux. Si je dois aller sur un concours, je fais un peu plus. Mais je privilégie la santé de mes montures avant tout. Je les marche à la main, je ne les mets jamais au marcheur, c’est trop dangereux. »

Le coronavirus n’est jamais parvenu à perturber ses plans. Après trois mois et demi, Nicolas Wagner se remet directement en selle et participe à son premier concours international.

UN CONCOURS CINQ ÉTOILES AUX ALLURES DE RÉPÉTITION GÉNÉRALE

Pour la première échéance internationale de l’année, le Luxembourgeois s’est envolé pour Doha. L’occasion de fouler la piste des prestigieuses installations Al Shaqab, complexe sportif niché dans le petit État arabe, à 50 kilomètres de la capitale, pour un CDI 5*. L’occasion aussi de goûter à nouveau au premier long transport de l’année pour Quater Back Junior FRH : « Ce n’est pas un problème pour les chevaux de voyager, précise Nicolas. C’est presque plus ‘agréable’ que de rouler pendant des heures pour se rendre sur un concours en Europe. »

Étape incontournable hivernale, le petit émirat péninsulaire donnait rendez-vous aux meilleurs cavaliers du monde, synonyme de grand sport. Une concurrence idéale et un galop d’essai grandeur nature pour prendre la mesure. De l’échéance japonaise, mais aussi des couples concurrents. Pas assez pour effrayer le jeune Luxembourgeois, très à l’aise face aux ténors de la discipline, souvent déjà rodés à l’exercice olympique.

Résultat, une cinquième place dans le Grand Prix sur 18 couples engagés. Derrière lui, une certaine Allemande, Helen Langehanenberg, médaillée d’argent aux Jeux olympiques de Londres.

Le lendemain, il récidive et remporte le Grand Prix Spécial avec une note de 74.128 devant un jury pointu et reconnu. Les réglages sont trouvés. « On peut dire que le cheval est prêt. »

Un soutien royal

Le Grand-Duc héritier lui a rendu visite l’an passé, le 2 juin 2020, curieux d’assister à la préparation de l’athlète et de son cheval. « Il est venu, a regardé comment je montais. Il a visité notre écurie, où j’étais installé, et j’ai pu échanger un peu avec lui. Il était très content. Il m’a souhaité bonne chance pour les Jeux olympiques. »

À UNE FOULÉE DE L’HISTOIRE

La route qui mène à Tokyo commence par une période de quarantaine à Aix-la-Chapelle. «Nous sommes trois à faire le voyage au Japon car avec les exigences sanitaires, le nombre de personnes est limité et des précautions sont prises en raison du coronavirus. Là, je ne semble pas nerveux, mais je jour d’avant, je suis très concentré. Je n’aime pas être dans un contexte de stress. Je me mets dans ma bulle, tout doucement, je commence à réfléchir un peu, à me poser.»

Sur place, il retrouvera ses mentors, ceux qui ont renforcé un peu plus sa passion, ceux qui ont joué un rôle dans l’évolution de son équitation. Certains ont déjà participé à plusieurs olympiades, d’autres ont simplement inspiré le jeune Nicolas.

Mais en 2021, tous se mesureront en piste et partageront l’affiche, les anciens comme les plus contemporains.

Première étape, séduire les juges, dès le 24 juillet, à l’Equestrian Park. Le couple Wagner/Quater Back Junior FRH tentera de placer le Luxembourg sur le lieu le plus emblématique de la planète sport. De quoi nourrir de grandes ambitions pour l’une des plus petites nations au Japon.

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