Olivier Delrieu : des étoiles dans l’assiette aux étoiles filantes sur la piste

A 50 ans, Olivier Delrieu a déjà plusieurs vies. Il a longtemps oeuvré dans les cuisines des plus grands chefs étoilés français et fait saliver des milliers de gourmets. Aujourd’hui, il est moniteur de running particulier à Luxembourg. Entre ses deux passions, les ponts sont beaucoup plus nombreux qu’on ne pourrait le penser au premier coup de fourchette. Rencontre avec un homme de goût, pour qui plaisir et partage sont les ingrédients indispensables des meilleures recettes.

Quel est le rapport entre les cuisines des grands restaurants étoilés et les coureurs de marathon? Entre la préparation d’un plat de luxe et celle d’une compétition sportive? Il ne saute pas forcément aux yeux à la première bouchée ou foulée… C’est pourtant ce que raconte l’incroyable histoire et le parcours d’Olivier Delrieu, 50ans, dont 20 déjà au Luxembourg. Aujourd’hui entraîneur diplômé, proposant des séances sur mesure pour des particuliers souhaitant simplement s’entretenir ou se fixant des objectifs en compétition, pour des groupes en entreprise, coach pour la ville de Luxembourg dans le cadre du programme Sport pour tous, et encadrant au club d’athlétisme du CSL, ce père de famille a, dans une première vie, fait parler son talent dans les cuisines de plusieurs grands restaurants étoilés et prestigieux en France. En remuant la marmite des souvenirs, de nombreuses anecdotes savoureuses remontent à la surface… Croquons avec gourmandise dans la madeleine de Proust pour dérouler le fil de cette vie peu banale, du feu en cuisine à la foudre de la semelle sur le bitume.

Le pêcheur de lune lance ses filets sur la capitale

Olivier Delrieu est né à Lunel, juste à côté de Montpellier, dont le nom des habitants est en soi une ode à l’évasion et au rêve : les Pescalunes, littéralement « les pêcheurs de lune » en Occitan. Petit, il traîne déjà en cuisine avec sa mère, qui se lève souvent à 6h du matin pour préparer les repas familiaux: « Je l’aidais à faire tous ces plats traditionnels, la poule au pot, les ragoûts, les mijotés, et évidemment tous les classiques de la cuisine méditerranéenne, espagnole ou italienne, les encornés farcis, les moules farcies et bien d’autres recettes encore. » Quand il n’est pas dans dans les torchons, les spatules et les casseroles maternels, Olivier est sur les terrains de sport, de football plus particulièrement. Il est même plutôt doué, repéré. Mais ses parents lui sortent rapidement ce qui ressemble à une sentence : « Le sport, c’est comme chanteur, tu ne vas pas en faire ta vie. » Et comme les études longues ne font pas partie des habitudes familiales, direction le lycée hôtelier de la colline à Montpellier pour trois ans de formation, puis l’école hôtelière de Perpignan. En 1989, entre les deux établissements, sa mère, qui a un rôle prépondérant dans sa vie, passe des coups de fil à tous les grands restaurants gastronomiques de la capitale. Le Fouquet’ répond positivement et embarque le jeune Olivier. « Je vis quelque chose d’incroyable pendant trois mois au cours de cet été. Je passe de mon petit village aux paillettes de Paris. C’était le bicentenaire de la Révolution et le centenaire de la Tour Eiffel. Pour les cérémonies, j’étais couché sur le Champ-de-Mars en regardant la dame de fer et en rêvant de travailler dans son restaurant… Toujours aussi passionné de sport et d’émotions fortes, j’assiste également à l’arrivée de Fignon qui perd leTour de France pour huit secondes. »

Pompidou, Rocard, Mitterand, diplomates, écrivains… le gratin au menu

Peu de temps après cette première grande expérience, Olivier Delrieu est pris comme commis de cuisine au Martinez, à Cannes. « Je commence à apprendre dans des grandes brigades, des équipes de fou, des armadas d’employés. » Pendant le peu de temps libre qu’il lui reste, il va regarder s’entraîner l’AS Cannes, où un certain Zinédine Zidane répète ses gammes. Un nouveau tournant survient alors qu’il fait son service militaire chez les chasseurs alpins, à Gap. Sa (bonne) mère continue d’appeler partout pour vanter les mérites de son fiston. Et ça paye encore ! Olivier est appelé comme militaire cuisinier à Matignon. Il concocte alors des petits plats pour le Premier ministre, Michel Rocard. Un jour, il doit cuisiner pour Madame Pompidou, François Mitterand, son épouse, et d’autres personnes dont il tait encore l’identité par discrétion. « Le contact est très bien passé avec Madame Pompidou, et elle m’a demandé de venir faire la cuisine pendant six mois pour elle, entre sa maison de Cajarc et la Bretagne. Je lui fais une cuisine familiale, avec amour. Et surtout, je rencontre des diplomates, des écrivains, des artistes, des journalistes. J’avais 19 ans,ce sont des souvenirs incroyables. »

La tournée des grands chefs

Sous les ordres des plus grands chefs parisiens, entre les mets fumants et les gouttes de sueur du labeur incessant, les dix années qui suivent sont un festival d’expériences, de découvertes, d’évolutions. Au Fouquet’s encore (une étoile auMichelin) : « Une jeune brigade, on était comme une équipe de foot, à 100% à fond,à 100% ensemble », se souvient Olivier. Au Taillevent ensuite (3 étoiles auMichelin): « Là je me prends une énorme claque, face à un management des années 50, pas un mot en cuisine, ça m’a fait redescendre. C’était vraiment très dur, je pleurais tous les soirs mais je ne voulais absolument pas lâcher. » Le mental, on y reviendra, la vertu des champions. Puis il enchaîne sur trois années avec le chef Alain Solivérès aux Elysées Vernet (2 étoiles au Michelin). « On était cinq en cuisine,soudés par un très fort esprit d’équipe, on faisait du millimétré en bossant 17h par jour, avec une exigence maximale. » A 24 ans, son rêve lorsqu’il était allongé sur le Champ-de-Mars, le regard tourné vers le ciel, se réalise : il monte au paradis du Jules Verne, le restaurant de la Tour Eiffel et en devient son plus jeune sous-chef en prenant la direction d’une vingtaine d’employés. L’aventure dure trois ans. « Chaque chef m’a appris quelque chose de différent. Certains la rigueur, d’autres la chaleur humaine, l’exigence, la culinarité, le respect des produits, l’humilité », énumère Olivier. Il tient également à citer le chef Jean-François Sicallac dans son parcours. Mais c’est avec Alain Solivérès que son destin va de nouveau prendre un virage inattendu. Lorsqu’ Olivier a des moments de break dans son boulot (les équipes tournent pour respecter les 35h), il accompagne le grand chef pour des missions un peu partout sur la planète, à Singapour, au Mexique… « Avec cette expérience, je développe le côté business, relationnel, communication. » Jusqu’au jour où, à 29 ans, on lui propose d’ouvrir deux restaurants au Luxembourg sur le concept des des barsfly, bars lounge. Il s’occupe alors de l’Opium et du Boos K’fé pendant huit ans. Jusqu’à ce qu’il sature et qu’il profite d’un changement de patron au Boos’Café pour changer de cap et s’orienter dans la recherche et développement dans l’agro-alimentaire : « J’ai créé des plats pendant plusieurs années pour des marques comme Picard ou Thiriet. »

2018, l’année du grand saut et du virage sportif

C’est à ce moment-là qu’Olivier Delrieu commence à se remettre au sport, ses horaires au travail lui laissant davantage de répit. « J’y ai repris goût, notamment en accompagnant ma fille Clémence qui devait avoir 12 ans et moi 35. » Il l’emmène souvent à son club d’athlétisme, où le déclic va se produire. « Ils cherchaient quelqu’un pour encadrer les gamins. J’ai accepté mais à condition de passer mes diplômes et mes brevets d’État d’entraîneur à l’ENEPS (Ecole nationale de l’éducation physique et des sports). » Quoiqu’il fasse, Olivier ne fait jamais les choses à moitié. A partir de là, tout s’enchaîne. « Je suis repéré par la Ville de Luxembourg lors d’une course JP Morgan et on me propose d’être moniteur de running pour encadrer des groupes dans le cadre du programme Sport pour tous. » Il s’engage aussi au club d’athlétisme du CISL. Le grand saut définitif se fait en 2018 : « Ma boîte fait une cessation d’activité, on est remercié du jour au lendemain. Je me suis dit que c’était l’occasion de me consacrer enfin uniquement au sport ! » Olivier Delrieu suit le programme de porteur de projets Fit for entreprise, avec la House of entrepreneurship, affine son idée, la cisèle. Il lance son activité professionnelle d’entraîneur particulier le 13 mars 2020… « En plein début du Covid ! Ma chance, c’est que j’avais déjà de la clientèle. » Depuis, son carnet s’est étoffé : des particuliers pour qui il fait du sur-mesure, qui veulent simplement reprendre une activité physique après un break, se maintenir en forme ou alors performer sur leur prochain marathon, des groupes en entreprises, etc. Il travaille également avec la chambre de commerce.

« Un apprenti, c’est comme un clou, si tu tapes dessus de travers, tu le tords »

Aujourd’hui épanoui dans sa nouvelle vie, l’enfant de Lunel retrouve beaucoup de points communs – une sorte de base liante – entre ses années passées derrière les fourneaux des grands restaurants et les qualités requises pour évoluer dans le running : « La régularité, la résilience, la persévérance. La cuisine gastronomique, de prestige, si tu te rates, que tu baisses, même pas longtemps, tu perds ton étoile. Le sport de haut niveau, c’est pareil : quand tu vois des athlètes se préparer trois ou quatre ans pour une course et que le jour J, un petit grain de sable peut faire dérailler la machine et faire échouer le projet de toute une vie. Mais ce qui me plaît, comme je le disais, c’est une forme de résilience. Le visage d’athlètes en pleurs, exténués, après une course dont le résultat n’est pas celui espéré, mais qui quelques minutes plus tard relèvent la tête, retrouvent le sourire, enlacent les autres participants, parce que finalement, ils font quand même partie des dix meilleurs au monde… Cela me touche beaucoup, me parle. Cette capacité incroyable de rebond, on la retrouve aussi chez lesgrands chefs. » Olivier Delrieu place aussi l’humilité au coeur de la philosophie de ses deux disciplines, et n’oublie pas une phrase essentielle du chef Alain Solivérès au moment de communiquer, d’être pédagogue avec ses clients (très souvent clientes) : « Un apprenti, c’est comme un clou, si tu tapes dessus de travers, tu le tords. » Avec le Covid et les confinements successifs, le coach sportif constate que beaucoup de gens ont besoin de sortir, de faire du sport, de retrouver un rythme de vie. Ils font également beaucoup plus attention à l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Quoi qu’il en soit, l’objectif d’Olivier quand il s’occupe de ses sportifs, c’est qu’ils se fassent du bien. Et pour boucler la boucle de cette vie aux mille défis, aux mille saveurs, aux mille échappées, qu’elles soient gourmandes ou athlétiques, notre magicien du goût en baskets conclut par ces mots : « Le sport et un bon resto, ça doit se résumer à la même chose… le plaisir et le partage.»

François Pradayrol

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