Quatrième #ThrowbackThursday : La victoire homérique de Gilles Muller face à Rafael Nadal

En 2017, Gilles Muller accomplit le plus bel exploit de l’histoire du tennis luxembourgeois à Wimbledon en éliminant en huitièmes de finale l’inégalable Rafael Nadal lors d’un match homérique en cinq sets de 4h48. Pour son quatrième #ThrowbackThursday, Mental! revient sur cette prouesse inoubliable.

Peu de sports peuvent se targuer de maintenir l’incertitude jusqu’au dernier instant comme le tennis. Alors qu’un gros écart parait irrattrapable dans bien des disciplines, un match de tennis est maître dans l’art du suspense et ne peut jamais être considéré comme gagné tant que le dernier point n’a pas été remporté. Ainsi, au combat physique s’ajoute une dimension mentale inégalable : si dans le sport collectif, un des acteurs continuant d’y croire jusqu’au bout ne peut être suffisant pour sauver un groupe, le tennis permet, avec une mentalité féroce et insatiable, de renverser les situations les plus délicates. Une vérité parfaitement démontrée dans ce match marathon en terre anglaise du dix juillet 2017, où le géant Luxembourgeois nous aura fait passer par toutes les émotions dans une rencontre aux retournements plus violents que les plus périlleuses montagnes russes.

Outsider, mais…

Le terme géant dans le monde du sport peut avoir plusieurs significations, et était en ce jour légitimement applicable aux deux compétiteurs. D’un côté, un Gilles Muller âgé de 34 ans, mesurant 1.92 mètres et paraissant infiniment plus grand que son adversaire du jour. De l’autre, un Rafael Nadal parfaitement définissable lui aussi comme gigantesque. Sous bien d’autres aspects, tels que le palmarès, le talent, le classement et l’étiquette, déjà, de légende dans le monde du tennis. Se retrouvaient alors face à face deux immenses joueurs prêts à en découdre devant un Stade plein et, il faut bien le dire, acquis à la cause de l’Espagnol déjà auréolé de 15 titres du Grand Chelem. Mais en face se dresse un Gilles Muller en route vers l’une des meilleures saisons de sa carrière et vivant une seconde jeunesse.

Il convient de rappeler que l’actuel directeur sportif du Spora est tout sauf un anonyme. En juniors, le longiligne athlète s’était offert une finale à Wimbledon et un titre à l’US Open, ainsi qu’un titre prestigieux de champions du monde junior. Aussi, par le passé, si des blessures ont pu perturber son parcours, il avait déjà prouvé ses capacités, à son meilleur niveau, de réussir des grands coups : élimination d’Andre Agassi en demi-finales à Washington, d’Andy Roddick au premier tour de l’US open, nombreuses victoires en 5 sets après avoir été mené par deux manches, le gaucher au service dévastateur sait faire cohabiter un haut niveau de jeu avec des ressources mentales inépuisables. Déjà vainqueur de son premier titre (après cinq finales perdues) en janvier à Sydney, puis d’un second mi-juin sur Gazon à s-Hertogenbosch, il attaque ce Wimbledon 2017 doté de son meilleur classement jamais, une position de 16e tête de série et le plein de confiance. Après trois victoires (dont une remportée en cinq sets malgré deux balles de match pour son adversaire Rosol) Muller arrive en huitièmes de finales sans réelle pression dans un match où, malgré un jeu parfaitement adapté au gazon londonien, il est tout sauf favori. Car face à lui se dresse un homme surfant sur une nouvelle victoire à Roland Garros et donné gagnant par tous les bookmakers. Sauf que…

Il est possible de trouver des motifs d’espoirs pour l’athlète du Grand-Duché. Déjà, Rafael Nadal reste sur plusieurs déconvenues à Wimbledon ou il n’a plus atteint les quart de finale depuis sa finale mythique de 2011 face à Djokovic. Une longue absence de six ans sur une pelouse qui ne lui réussit guère peut donc facilement semer le doute en lui, même s’il n’est pas de ces joueurs qui semble être atteint par la moindre incertitude ou apte à « lâcher » un match. Mais aussi, et c’est plus rare, Muller peut se targuer d’un bilan neutre face à Rafa sur le gazon de Wimbledon ou il a déjà remporté une de leurs joutes, il y a de ça 12 ans face à un Nadal certes encore bébé, mais déjà détenteur de son premier grand chelem. Avec un succès en 2005 et une défaite en 2011, les deux hommes se retrouvent ici pour une belle. Et quelle belle.

1h14 de jeu : la masterclass de Muller.

C’est une de ses stats qui en dit long sur la performance du géant luxembourgeois. A la suite d’un premier set tutoyant la perfection pour l’adversaire de Nadal, ce dernier finit par céder la manche 6-3 en ayant fait… 0 fautes directes. Du quasi jamais vu qui ne peut que s’expliquer par l’excellent niveau de jeu proposé par les deux farouches combattants. Parfaitement à l’aise sur le gazon et développant un jeu très offensif, Muller pousse Nadal dans ses retranchements et, bonus évident, offre un excellent jeu de fond de court. Dans une première manche ou les opportunités sont rares, « Gillou » réussit à sauver la seule balle de break de Rafa, et, cerise le gâteau, convertit sa seule opportunité de prendre le service de l’Espagne. Au bout de 33 minutes d’une partition délivrée parfaitement, le luxembourgeois empoche le premier set.

S’il n’est pas rare de voir les grands favoris souffrir dans le premier set, on les retrouve généralement plus en maitrise au second, après avoir réglé la mire et capable de dompter les ambitions de l’adversaire. Problème : que faire quand le dit adversaire réussit tout ce qu’il entreprend et offre une masterclass de jeu ? Service parfait, montées au filet létales, déplacements impeccables sur le cours et jeu de fond de court solide, le natif des Baléares a beau essayer tout ce qu’il peut, à l’image de ce point absolument exceptionnel, cela ne suffit pas. 

 

Signe de l’intensité fournie, Nadal assène 3 jeux blancs sur les quatre premiers remportés et commence à mettre à mal Muller sur son service. Problème, à chaque fois que le canonnier se retrouve dos au mur, des parpaings sur service à la précision impeccable le sauve d’un long rallye. Pourtant loin d’être débordé et plus dominant que la première manche, l’athlète majorquin concède son service sur une erreur de revers. Il ne reste plus qu’au natif du Grand-Duché de conclure sur sa mise en jeu, chose réussie sans faillir. Après 1h14 de jeu, un tennis impeccable et un opportunisme digne des plus grands, la 16e tête de série a un pied et demi en finale.

2h33 de jeu : la révolte du lion

Alors qu’une énorme part du travail semble accomplie, de nouveaux obstacles apparaissent sur la voie des quarts de finale pour le 26e mondial. Après deux sets de haute facture qui pourraient briser le mental de bon nombre d’adversaires, Nadal est tout sauf résigné. Plus déterminé que jamais, la quatrième tête de série revient avec une rage et une envie d’en découdre qui ne peut que forcer l’admiration. Mais aussi, Muller doit maintenant composer avec un nouvel adversaire, un public qui ne veut pas voir un de ses chouchous quitter prématurément la compétition. Donnant de plus en plus de voix, et ayant choisi son camp, les maintenant 30 000 spectateurs se transforment en supporters pour le numéro 1 espagnol. Un soutien de poids pour Nadal qui joue de ce soutien et augmente encore son niveau en jouant plus long, plus agressif, et plus intense. Loin de s’effondrer, Muller continue de se battre mais semble néanmoins chercher un second souffle. Et rapidement, le break se fait sous les cris de joies d’un public débout et d’un Nadal comme possédé qui harangue le public à coup de grands gestes. Les deux athlètes continuent de s’en donner à coeur joie, avec une domination ibérique qui finit par se concrétiser avec une troisième manche remporté 6-3.

Le quatrième set repart sur plus ou moins les mêmes bases, avec pour seule différence la détermination plus que visible de Muller. A l’opposé de l’attitude de son adversaire déchainé, le luxembourgeois contrôle ses émotions, et prône une pokerface de tous les instants quel que soit le résultat d’un coup. Mais, à 2-2, encore une fois, Muller finit par céder son service sous les effusions de joie d’un public persuadé qu’une remontada extraordinaire est en train de prendre forme. Incapable de se procurer la moindre balle de break dans ces 3ème et 4ème manche, le vétéran luxembourgeois finit par céder le 4e set, conscient que dorénavant, les deux hommes sont revenus sur une égalité parfaite : 6-3 6-4 3-6 4-6. Quoi de plus évident qu’un 5e set ?

4h48 de jeu : La récompense ultime.

Si la dynamique, le classement et le public sont en faveur du numéro 2 mondial, Muller ne rompt pas. Et ne plie pas non plus, pour tout dire. Doté de ressources mentales exceptionnelles, il continue sa partition faisant fi de tous ces à-cotés, de son avantage énorme perdu, et de la fatigue montante. Alors que Nadal continue de haranguer le public, Muller lui reste imperturbable, comme sûr de son plan. Si les images d’effusions de joie peuvent faire croire à une lente mise à mort de l’athlète de 34 ans, la réalité en est tout autre. C’est bien Gilles qui dicte le jeu et Rafa qui, avec sa combativité légendaire s’accroche coûte que coûte. C’est ainsi que ce dernier devra déjà sauver deux balles de matchs à 4-5, sur son service. Mission accomplie avec deux aces splendides. Et dire qu’à ce moment, nous sommes encore à plus de 90 minutes de la fin du marathon… Ayant l’avantage de servir en premier, dans une rencontre où une perte de service si tard serait assurément synonyme de défaite, Muller maintient une pression constante sur le Majorquin qui, puisant dans des ressources paraissant intarissables, s’accroche à la vie dans ce cinquième set irrespirable.

Seul le 19e jeu (!) du set verra Muller en grande difficulté, mais encore une fois maître de son jeu et émotions pour sauver quatre balles de breaks avec un calme intimidant. Au 20è, c’est au tour de l’espagnol de sauver deux nouvelles balles de match sur des coups tout simplement exceptionnels et une rage toujours aussi visuelle. Malgré maintenant quatre opportunités de conclure envolées, le luxembourgeois maintient le cap, ne se laisse pas envahir par l’émotion et, presque machinalement continue, malgré des possibilités de déplacement plus restreintes pour fatigue, à pilonner son adversaire du jour de plus en plus en difficulté sur son service.

Malgré l’aide du public, malgré cette combattivité, l’impensable est en train de se réaliser, et à coups de services puissants, calme olympien et gestion parfaite des temps forts et faible, Muller finit par faire craquer Rafa, qui, d’un coup droit trop appuyé offre finalement la victoire au luxembourgeois sur sa 5ème balle match en cette dernière manche mythique.

Chose rare, le perdant de cette rencontre homérique aura été celui ayant remporté le plus de points. Ainsi, le multiple vainqueur de Grand Chelem devance son adversaire du jour de 7 coups, mais repart bredouille. La faute à une gestion impeccable des moments cruciaux de cette rencontre de la part du nouvel héros du Luxembourg, sauveur de 14 des 16 balles de break face à lui. Une performance XXL qu’il répètera en quart de finale face à Marin Cilic avant de s’effondrer, épuisé, dans un nouveau cinquième set. Mais, en ce 10 juillet, Gilles Muller n’y pense pas encore. Il savoure cette victoire avec un public qui lui offre enfin l’ovation qu’il mérite tant. Et, beau joueur, Rafael Nadal plutôt que de rentrer directement aux vestiaires, attend son bourreau avant de l’accompagner sous les clameurs d’un public, qui continue de féliciter la plus grande victoire de sa carrière, au jeune âge de 34 ans.

Tendai Michot

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