« La marge de manoeuvre devient très faible »

Organisée par le CELL, la rencontre entre les scientifiques luxembourgeois et les nouveaux députés a eu lieu hier devant la chambre des députés. L’occasion d’en savoir plus sur les raisons derrière ce meeting, et les enjeux à venir selon la communauté scientifique.

Il eût été facile de dresser un parallèle entre le temps, particulièrement pluvieux au moment de notre arrivée au lieu de rencontre, avec la situation du mouvement écologique au Grand-Duché. Car il est vrai qu’après la claque encaissée par Dei Greng lors des récentes élections, le présent parait aussi maussade, si ce n’est plus, que cette journée d’octobre où les gouttes tombent à flots devant la chambre des députés.

Un désaveu électoral assumé

Pourtant, très vite, il est aisé de se rendre compte que le ton global n’est pas celui de la contestation ou de la négativité. Et les intentions de cette rencontre sont claires. Pas une optique de protestation, loin de là, mais bien plus une initiative dans le but d’informer les élus. « L’idée derrière ceci est d’attirer l’attention de nos nouveaux élus sur les questions climatiques ou encore de biodiversité afin qu’ils aient les éléments pour prendre les meilleures décisions en connaissance de cause » confirme ainsi Delphine Dethier, co-coordinatrice au sein de la CELL. « On veut leur donner tous les outils possible et la chance de s’entretenir avec des scientifiques du Luxembourg qui peuvent expliquer longuement et dans le calme ce qu’ils vivent, expérimentent et constatent. De cette rencontre peuvent déboucher des décisions basées sur des preuves scientifiques et un temps d’échange ».

Très vite, le sujet des récentes élections, et la débâcle du parti vert vient sur la table. Et aucun de nos interlocuteurs ne mâche ses propos ou ne cherche à atténuer l’envergure de ce résultat décevant. « On est déçu de voir que massivement, le public et les électeurs ont rejeté le parti qui défendait le plus des programmes holistiques » confirme ainsi Delphine Dettier. Comment la co-coordinatrice de la CELL justifie-t-elle ce rejet de la population de Dei Greng, alors que la préoccupation sur le futur de notre monde parait être un sujet de plus en plus posé commun ?  « Avant tout, l’ensemble des partis mettent dorénavant une pointe d’écologie dans leur programme. Il n’y a plus ce sentiment de devoir impérativement voter écolo pour espérer voir les choses changer » débute-t-elle. Celle qui est anthropologue de formation explique aussi ce désaveu par cinq dernières années compliqués. « Il y a eu beaucoup de crises : économiques, sociales, sanitaires… Dans ce contexte, on entend souvent « encore les écolos… »

Entre optimisme et urgence

Enfin, dernière raison selon elle d’un engouement qui s’est essoufflée : les potentielles conséquences contraignantes d’une politique oeuvrant vers une réparation d’un monde déjà mal en point. « Il y a une certaine peur des changements réels qu’impliquent de vraiment changer la donne. Aujourd’hui, on est dans une sorte de mi-cuit. On avance sur certaines choses mais pas assez pour que cela ait un impact réel. On donne le sentiment que l’écologie est contraignante, mais plus le changement sera rapide, moins le flou dans le domaine diminuera »

En prenant en exemple la « petite part d’agriculture biologique » qui ne suffira pas à « faire revenir les pollenisateurs ou les vers de terre dans le sol », Delphine Dethier l’assure : il en faudra plus pour avoir un impact notable. Pas de quoi cependant lui faire perdre toute forme de nuance, comme sur le bilan des cinq dernières années. « Il y a eu quelques avancées. Mais le changement n’est pas la hauteur de ce dont on a besoin pour que l’humanité survive. Pour moi, ce n’est plus du tout un choix, mais bien une nécessité ».

Un avis partagé par Susanne Siebentratt, professeur de physique à l’université, et focalisée sur la nouvelle génération de cellule solaire. « Le Luxembourg s’est activé, à l’image de l’énergie renouvelable. Sur les deux dernières années, le Grand-Duché a installé deux fois plus de panneaux photovoltaïques que par le passé. C’est une bonne chose, mais la réalité est qu’il faut réussir à en faire dix fois plus, pas deux fois plus, pour arriver à un objectif de zéro émission carbone d’ici 2045 ».

« Il y a une vraie urgence à changer de paradigme et de système, à devenir un sujet transversale et non pas une simple parenthèse » confirme la coordinatrice du CELL, qui ne crie néanmoins pas, loin de là, à la fin du monde. «  Il n’est pas trop tard aujourd’hui. Certaines choses sont irréversibles. On va arriver de plus en plus à des situations qu’on ne peut inverser mais c’est encore possible. Il faut agir maintenant, car la marge de manoeuvre devient très faible. Et cette urgence, je n’ai pas le sentiment qu’elle soit bien comprise dans les choix ou comportements des politiques ».

Pour les députés, qui sont « venus et ont joué le jeu » selon les scientifiques présents sur place, l’information semble bien avoir été transmise. Reste maintenant à savoir si le message aura été bien entendu et si les efforts des cinq dernières années seront décuplés pour donner une chance à la planète. Entre optimisme et urgence, la dernière phrase prononcée par Delphine Detier semble ainsi résumer la situation : « Si on se bouge les fesses, il y a des raisons d’être optimiste ».

La sixième limite planétaire a été franchie

Selon une récente publication scientifique parue dans la revue « Science », la sixième limite planétaire aurait été franchie il y a peu. Les limites planétaires, telles que définies par Johan Rockström et d’autres chercheurs, sont un ensemble de neuf domaines environnementaux critiques qui, lorsqu’ils sont franchis, pourraient mettre en péril la stabilité de la planète. Ces limites comprennent des facteurs tels que le changement climatique, la perte de biodiversité, la pollution chimique, la perturbation du cycle de l’azote et du phosphore, et l’utilisation de l’eau douce. La sixième limite planétaire, liée à l’eau douce, a donc été dépassée il y a peu, indiquant que l’humanité a dépassé les niveaux durables de sa consommation, entraînant par-là des conséquences potentiellement graves pour l’environnement.

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