Marine Le Pen peut-elle faire bon ménage avec l’UE?

Il est à craindre que si la candidate d'extrême droite devient présidente de la République, elle tentera de détruire le bloc de l'intérieur.

Marine Le Pen était de retour dans les régions au lendemain de son accession au second tour des élections. Et quand il s’agissait d’aborder le sujet de l’Europe, la candidate n’aurait pas pu paraître plus claire : « Je ne veux pas quitter l’UE« , a-t-elle déclaré. « Ce n’est pas mon objectif ».

Une grande partie de ce que la dirigeante du Rassemblement national veut faire, cependant – sur l’économie, la politique sociale et l’immigration – implique d’enfreindre les règles du bloc des 27 membres, et son éventuelle arrivée à l’Élysée le week-end prochain pourrait s’avérer « calamiteuse » pour le bloc.

Une candidate moins réticente, mais …

Marine Le Pen pourrait avoir abandonné ses promesses antérieures de faire sortir la France – membre fondateur de l’UE, sa deuxième plus grande économie et la moitié du moteur vital franco-allemand qui la fait fonctionner depuis sa création – de la monnaie unique euro et du bloc.

Lors de l’élection de 2017, les craintes des conséquences économiques de cette politique, surtout parmi les électeurs plus âgés inquiets pour leurs économies, sont largement considérées comme ayant contribué à sa lourde défaite au second tour contre le pro-européen Emmanuel Macron.

Cette fois, l’UE ne figure même pas nommément parmi la douzaine de thèmes clés du programme électoral de Mme Le Pen.

Pourtant, nombre de ses propositions politiques concrètes sont en contradiction flagrante avec les obligations liées à l’appartenance à l’UE.

Les opposants ont appelé cette stratégie « Frexit in all but name » : une approche qui, si elle ne vise plus à sortir la France du bloc, cherche à le remodeler fondamentalement.

Ce qui pourrait conduire à une impasse paralysante avec Bruxelles.

« La politique européenne de Le Pen est la suivante : ‘Nous allons rester dans le bus mais le conduire au bord d’une falaise' », explique Mujtaba Rahman, le directeur Europe du cabinet de conseil Eurasia Group. Elle « essaierait de détruire l’UE de l’intérieur » et constitue « une menace bien plus grande pour le statu quo européen que le Brexit », a-t-il ajouté.

Pascal Lamy, qui a été chef de cabinet de l’ancien président de la Commission européenne Jacques Delors, quant à lui pense qu’une victoire de Le Pen serait un choc majeur à plus grande échelle « que Trump ne l’a été pour les États-Unis, ou le Brexit pour le Royaume-Uni ».

Son programme « souverainiste, protectionniste, nationaliste » serait « en totale contradiction avec l’engagement français en faveur de l’intégration européenne » et comprend « des propositions en totale rupture avec les traités auxquels la France a souscrit », poursuit-il.

La clé des projets de Marine Le Pen est un référendum anticipé sur une proposition de loi sur « la citoyenneté, l’identité et l’immigration » qui modifierait la Constitution pour permettre une « priorité nationale » pour les citoyens français en matière d’emploi, de prestations de sécurité sociale et de logement public – une mesure incompatible avec les valeurs de l’UE et les règles de libre circulation.

Le même référendum établirait « la primauté du droit national sur le droit européen » pour permettre à la France « non seulement de maîtriser l’immigration mais, dans tous les autres domaines, de concilier son engagement européen avec la préservation de sa souveraineté nationale et la défense de ses intérêts », affirme le parti RN.

Une Europe « A la carte »

L’objectif serait de permettre à la France de bénéficier d’une « Europe à la carte », en choisissant les éléments de la législation européenne qui lui plaisent et ceux qui lui déplaisent – une idée qui n’est pas envisageable pour le bloc et qui a été fermement écartée par les 27 lors des négociations du Brexit avec le Royaume-Uni.

« C’est absurde », estime Jean-Louis Bourlanges, député centriste et président de la commission des affaires étrangères du Parlement français. « Dès lors que vous affirmez la primauté du droit national, vous n’avez pas de droit européen ». Marine Le Pen a rejeté une sortie officielle, mais son programme n’est pas compatible avec le maintien de la France dans l’UE. »

Marine Le Pen souhaite également rétablir les contrôles aux frontières des importations et des personnes, en violation des règles de l’UE et de Schengen.

Mais aussi réduire unilatéralement la contribution de la France au budget de l’UE, alors que le cadre financier pluriannuel de l’Union pour la période 2021-2027 est déjà fixé.

D’autres projets de réduction des taxes sur les produits de première nécessité et les carburants enfreindraient les règles du marché libre de l’UE.

De grandes questions peuvent subsister quant à la mesure dans laquelle ce programme pourrait être mis en œuvre, tant au niveau national que dans le contexte européen.

Les ambitions de Madame Le Pen seraient contrariées si elle ne parvenait pas à obtenir une majorité parlementaire lors des élections de juin, et les experts juridiques de l’UE ont souligné que le simple fait d’organiser un référendum sur la primauté du droit national constituerait une violation des traités européens.

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