Philippe Mersch : « L’Autofestival est encore plus important dans la période actuelle »

Le directeur du garage Kremer à Mersch et président de la Fedamo évoque la situation actuelle du marché de l’automobile au Luxembourg, et préface le prochain Autofestival, événement toujours incontournable

Comment le secteur automobile au Luxembourg se porte-t-il actuellement ?

Si l’on regarde le chiffre des immatriculations – un des seuls auquel a accès le grand public – nous sommes dans une situation de crise. Il n’y a pas besoin de tourner autour du pot. Mais si l’on se compare aux pays voisins, pas en termes de volume évidemment, mais en termes d’évolution du marché, à ce niveau-là, on se situe encore dans une bonne tranche. On est à – 4 % par rapport à l’année dernière où l’on était encore beaucoup impactés par le covid. On ne se porte pas si mal que les chiffres concernant les immatriculations voudraient nous le faire croire. Mais le gros souci c’est que l’on a des délais de livraison très allongés, et cela a un impact non négligeable sur les chiffres de l’immatriculation. Il y a un décalage, mais nous avons aujourd’hui des portefeuilles de commandes bien remplis par rapport aux années précédentes, donc on s’attend tout de même à des ventes à un niveau raisonnable en 2023. 

Il y a eu la crise du covid en 2020, la pénurie de certains composants, maintenant la guerre en Ukraine, comment les secteurs de l’automobile traversent-ils ces crises successives et très rapprochées ? 

Ce n’est pas facile, mais on a les mêmes soucis que dans d’autres secteurs d’activité. Malgré la crise, nous sommes fiers de dire que nous avons pratiquement gardé le même nombre de salariés dans l’automobile au Luxembourg, environ 5 000, ce qui reste un chiffre important. Nous manquons même de main-d’œuvre qualifiée, sachant que nos produits sont de plus en plus techniques. Nous avons besoin d’une main-d’œuvre pointue, et c’est un challenge de tous les jours. Mais la crise est là, pour nous comme pour le client, avec notamment le coût de l’énergie en hausse. En tant qu’entreprise, on a aussi ces problématiques de coûts à gérer. 

Certaines marques sont-elles moins impactées que d’autres par les pénuries de composants ?

Au début de la crise des semi-conducteurs, les marques asiatiques étaient mieux loties, peut-être qu’elles avaient mieux anticipé… Mais pour être honnête, aujourd’hui quasiment toutes les marques sont touchées de la même manière. La disponibilité selon les marchés, c’est une stratégie gérée au niveau de la marque, et il se peut que durant une période, on ait moins de livraisons sur le marché luxembourgeois que sur le marché français, ou l’inverse. Mais on a l’espoir que cela s’améliore dans le courant de l’année. 

Et si je désire aujourd’hui acheter un véhicule chez vous, prenons l’exemple d’une Kia EV6, combien de temps devrai-je patienter ? 

En général, en période de salon comme on le sera bientôt, on a des voitures livrables tout de suite. En cas de commande, on a des durées d’attente de trois à six mois, et pour certaines voitures, on sera à douze mois voire plus. Au sein d’une marque, il peut y avoir différents types de délais, au sein d’un modèle également, en fonction de la couleur, des équipements, d’un toit ouvrant… Et c’est pour cela que l’on invite les clients à venir se renseigner, on n’a pas toutes les réponses aux questions, mais on essaie de les avoir. 

Comment le marché luxembourgeois a-t-il évolué depuis une trentaine d’années ?

Aujourd’hui, l’électrique représente 15,2 % des immatriculations. C’est 5 % de plus en termes de parts de marché qu’en 2021. C’est une belle progression. Néanmoins, on n’arrivera pas aux objectifs politiques de posséder un parc automobile électrifié à hauteur de 50 % d’ici 2030. Mais à chacun ses soucis, en tout cas nous faisons ce que l’on nous demande concernant les produits électriques. Mais la réticence aujourd’hui ne se situe pas au niveau du public, pour des questions de coût, de disponibilité des points de recharge, qu’ils soient publics ou privés. Et là, on se heurte à un mur. Et il va falloir qu’au niveau politique, il y ait des avancées. 

Les objectifs sont-ils trop ambitieux en matière de voitures électriques ? 

Il y a dans la terminologie « électrification » les véhicules hybrides rechargeables et les véhicules 100 % électriques. Et aujourd’hui, le seul produit dont les ventes sont en baisse, c’est l’hybride rechargeable. Pourquoi ? Tout simplement car il n’y a plus de prime. Il est donc très important que la prime à l’achat d’un véhicule électrique soit maintenue, sinon tout risque de dégringoler. Mais l’électrique va progresser de manière très significative, c’est sûr. Les marques axent leur plan produit là-dessus, et on va en avoir de plus en plus. Après, sera-t-on à 50 % ou 35 % en 2030, on verra bien…

Les opérations de communication et de marketing sont nombreuses tout au long de l’année dans le secteur automobile ; l’Autofestival a-t-il alors autant d’importance qu’auparavant ?

En cette période difficile, oui, c’est peut-être même encore plus important. Il y va aussi de la survie de nos entreprises. On peut nous critiquer et dire « nous sommes en guerre, en pleine crise énergétique et écologique, et vous réalisez une opération marketing de grande ampleur », mais c’est notre gagne-pain ! Aujourd’hui, la vente d’automobiles représente des chiffres d’affaires importants, et on a besoin de cela pour rémunérer nos employés et faire fonctionner nos entreprises. On essaie d’être mesurés, mais on a besoin que l’Autofestival fonctionne, que les gens viennent nous voir, que les produits soient intéressants et les conditions attractives. Notamment au niveau des taux d’intérêt, qui sont élevés actuellement certes, mais qui le seront encore plus d’ici quelques mois. On a des délais de livraison, mais il vaut mieux s’y prendre à l’avance. 

Malgré le contexte inflationniste, y a-t-il de bonnes affaires à saisir au-delà des taux d’intérêt ? 

Les marques ont chacune leur politique, mais généralement on aime bien démarrer l’année de manière positive. Cela signifie que des efforts seront faits afin de vendre le plus de voitures possible. Si l’on vend des voitures commandées à l’usine, il y aura peut-être moins d’avantages que sur celles en stock qui doivent être liquidées. Mais on est persuadés que les produits sont attractifs et on est assez confiants. Les prix des voitures augmentent, mais tout devient plus cher, malheureusement. Il faut voir ce que l’on a pour son argent, et après peut-être envisager un financement et une utilisation différente. On parle de plus en plus de leasing pour les particuliers, ainsi que des crédits très flexibles. 

Le jeune public est-il plus difficile à attirer qu’auparavant ? 

C’est très varié. Je ne pense pas que les jeunes soient moins fascinés par l’automobile, car ils en ont besoin, mais c’est sûr qu’ils ont d’autres moyens de se renseigner sur le produit, et c’est au dernier moment qu’ils viendront en concession. Mais ils finiront par venir ! En tout cas, l’Autofestival est ouvert à tous, mais on remarque aussi que les nouveaux résidents qui s’installent au pays viennent découvrir l’événement. 

Avec la digitalisation, etc., n’avez-vous pas peur que les concessions classiques finissent par disparaître ? 

Non, car on se rend compte que tout cela fonctionne, mais dans la main. Même durant la période très compliquée du covid, on avait des canaux digitaux à part, et on voyait que tout marchait bien ensemble.

L’UE souhaite la fin du moteur thermique en 2035, est-ce faisable selon vous ? 

Je n’ai pas la réponse, mais en tant que petit concessionnaire, notre avis est qu’il est très hasardeux de se focaliser sur une solution unique et de décréter que c’est cela l’avenir de l’automobile. Il y a des gens qui achètent un véhicule diesel car ils roulent beaucoup, et l’électrique ne leur convient pas actuellement. Au niveau des produits, je ne m’inquiète pas, la date de 2035 est réaliste, mais il y a une clause de révision en 2026 ou 2027. On parle aussi beaucoup de carburant synthétique, et les constructeurs investissent des sommes importantes là-dessus.

D’ici 10 ou 15 ans, comment voyez-vous le futur du marché de l’automobile au Luxembourg ? 

Au niveau des véhicules, comme on a une population qui croît d’année en année, le parc automobile va encore augmenter. Les voitures seront-elles la propriété d’individus ou seront-elles partagées, cela reste à voir. Mais le marché ne diminuera pas de manière drastique. Ce qui va changer, ce sera au niveau de la distribution, ou certains risquent de se regrouper. En tout cas, les concessions devront s’adapter et proposer d’autres services, comme la location. 

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